Louis-Émile Élie
Par Michel Soukar

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Louis-Émile Élie
Par Michel Soukar

Peu d’informations détaillées, précises sur la biographie de l’historien Louis-Émile Élie.

Né à Port-au-Prince en 1886, il accomplit des études classiques chez les Frères de l’Instruction Chrétienne à leur institution « Saint-Louis de Gonzague » et, paraît-il, il se forma surtout par de longues, patientes et sérieuses lectures. Descendant de Louis Élie ; secrétaire du Président Alexandre Pétion, de Jean Élie : Ministre de Riché et de Soulouque, d’Auguste Élie, ministre des Relations Extérieures et des Finances de Geffrard, son père Émile Élie fut ministre des Finances de Sudre Dartiguenave. Il hérita de sa famille, actrice et témoin de notre histoire, masses de lettres et de documents inédits.

En 1935, au temps de la présidence de Sténio Vincent inaugurée en 1930, il fonda sous la direction de l’archevêque catholique Mgr Legouase, le journal « La Phalange » avec Dantès Bellegarde, Luc Grimard, Gérard de Catalogne.

Selon son contemporain Frédéric Bürr-Renaud, il est « un puits de science… une lumière qui se cache, et dont le rayonnement, malgré la modestie de sa retraite, éclate, oblige à se tourner vers elle tous ceux qui ont en eux, de près ou de loin, le respect de la culture…Une sorte d’oracle ou de Mentor que l’on consulte sur toutes matières dont on veut avoir des clartés… Il est heureux de mettre à la portée de ses visiteurs les trésors de sa vaste érudition… Il a horreur de l’esbroufe et de la superstition du mot… Sa mémoire est prodigieuse et garde l’empreinte de ses immenses lectures… Il lit le jour, il écrit le soir, la nuit… l’histoire d’Haïti surtout est son occupation favorite. Il la connait dans les coins. Sociologue, ethnographe, ethnologue, agronome, il est fondé en sciences économiques et financières… Consul à Guantanamo, il n’en a pas profité pour faire fortune…Redoutable polémiste, il est dangereux d’encourir ses foudres…Prêt à pardonner les coups qu’on lui porte et ceux qu’il assène… car il est de ce courage serein et candide… aussi, son amitié est une chose précieuse qu’on a bonheur à cultiver… ».

Placide David écrit qu’il tient Élie « pour un de nos esprits les plus riches et les mieux organisés ».

Francis Salgado assure que « la moralité d’Élie l’accompagne dans toutes ses voies et qu’elle est devenue une vertu civique ».

René Soukar qui le fréquente assidument dès 1935 témoigne qu’il « choisit la solitude d’une maisonnette de la rue Oswald Durand où, à l’ombre des palétuviers et dans la fraicheur de la brise marine, il abattait une colossale besogne d’historien, entouré de paperasses, d’épais volumes, de gravures… »

Il commença par publier des études historiques dans « La Phalange », « Haïti-Journal », « L’Éveil », la revue « Le Temps » avant de publier en 1942 sa brochure : « Le Président Boyer et l’empereur de Russie Alexandre 1er (une mission diplomatique à Saint-Pétersbourg en 1821) ». En 1944, il sortit le premier tome de son « Histoire d’Haïti », consacré à la période taïno, à l’arrivée et à l’implantation des premiers européens. Il y utilisa les matériaux des premiers chroniqueurs de l’époque dite de la découverte : Herrera, Charlevoix, des ouvrages des analystes de son époque et des biographes de Colomb. Il innova par ses soucis d’ethnologue sur les origines de l’homo americanus. Le second tome de son « Histoire d’Haïti » est consacré aux origines du peuple haïtien.

Le président Élie Lescot (1941-1946) acheta de lui le manuscrit d’une « Histoire Économique d’Haïti », autrefois publiée en fragments au cours des années 1930 dans la revue « Le Temps ». Cette oeuvre ne vit jamais le jour en volume.

Le Président Dumarsais Estimé (1946-1950) le nomma à l’ONU puis le chargea de la rédaction d’un livre sur « l’Histoire diplomatique d’Haïti ». Cette oeuvre ne parut jamais comme les tomes III et IV de son « Histoire d’Haïti » pourtant achevés.

Il publia d’autres études historiques et des réflexions politiques particulièrement dans son périodique « L’Homme libre » à la fin des années 1940 et au début de la décennie 1950. Il mourut à Port-au-Prince en 1959.

Sa méthode fut celle de l’érudition. Méthode attractive car elle implique un amas de connaissances. Méthode ambitieuse et dangereuse parce qu’elle exige la maitrise des disciplines abordées. Aussi, elle demande un travail d’équipe : garantie de meilleurs résultats. Louis-Émile Élie ne se soucia pas du péril : il attaqua en solitaire la diversité des questions.

Études, réflexions, souvenirs
Ce volume contient des études publiées dans le journal « La Phalange » dans les années 1944-45-46, des réflexions sur notre itinéraire de peuple depuis ses origines dans la colonisation esclavagiste et raciste, la formation sociale de Saint-Domingue, ses luttes de classes dans lesquelles s’infiltra, inoculé par la politique du diviser pour régner de la France, le poison de la question de couleur qui dévasta notre Histoire.

Du XIXe siècle haïtien, Elie expose l’habilité du manoeuvrier Alexandre Pétion réduisant l’opposition du Sénat (1807-1808), une ouverture intelligente de Boyer vers la Russie en 1822 parce qu’en quête d’une reconnaissance de notre indépendance, la résistance de peu de citoyens aux régimes répressifs de Soulouque (1847-1859), de Florvil Hyppolite (1889-1896), l’ascension et les misères de Lysius Salomon avant sa prise du pouvoir en 1879.

Les réflexions d’Élie se lisent dans son périodique « L’Homme libre » créé lors de la prétendue révolution de 1946 dont il saisit les causes tout en y voyant la main de l’étranger, l’aggravation de la corruption, le maintien de l’ordre ancien sous un masque noir. Or, selon lui, seule l’union du noir et du mulâtre, une conformité de vues et d’efforts peuvent nous sauver, comme en 1791 et 1802.

Ses souvenirs inédits révèlent son amitié douloureuse avec Sténio Vincent : candidat au Sénat puis à la Présidence en 1930 et l’utilisation démagogique du vodou par ce politicien. Selon Élie, collaborateur à « Haïti-Journal » fondé par le candidat, le leader nationaliste prêtait foi au pouvoir de clairvoyance des hougans tout en s’en servant comme agents électoraux.

Rigueur et sobriété caractérisent le style de Louis-Émile Élie et facilitent la lecture de ses écrits. Ces qualités captent notre attention pour cerner la pensée de cet écrivain, disciple des grands classiques.

Michel Soukar

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