Vivre à la merci des bandits en Haïti : Témoignage d’un journaliste qui a frôlé sa perte
Six ans après une experience angoissante que j’ai vécue le 23 novembre 2016, la réalité du pays, loin de s’améliorer, s’est cruellement empirée avec l’émergence et la prolifération des gangs armés qui imposent leur loi dans la république exerçant le pouvoir de vie ou de mort sur les citoyens. Six ans plutôt, l’expression “gangs armés” n’aurait pas provoqué tant d’effroi dans la communauté. On parlait certainement de bandits et d’actes de criminalité, mais pas de “chef de gang” ou de “gangs armés” à prpprement parler.
Aujourd’hui, j’ai déjà ressenti une certaine nostalgie de vouloir retourner vivre en 2016. Car en 2016, je pouvais prendre la route tous les dimanches matin à l’aube sans aucun souci pour me rendre à Jacmel. Et je pouvais aller prendre de l’air sur la place publique de Canapé-vert et retourner chez moi à Turgeau (Ave. des Marguerite près du collège Roger Anglade) en empruntant la route de Bois Patate à pied vers 10 heures du soir. Je pouvais également, en 2016, laisser Saint-Marc à 4 heures de l’après-midi pour rentrer à Port-au-Prince à la tombée de la nuit en passant par Canaan. Ce qui était, en fait, normale il y a 6 ans constitue aujourd’hui un risque mortel.
L’expérience que j’ai vécue dans la soirée du 23 novembre 2016 aux environs de huit heures m’avait permis de réaliser alors à quel point la sécurité des citoyens était incertaine, particulièrement dans la région métropolitaine où les bandits opéraient avec aisance en toute quiétude, à visage découvert, et des fois, au vu de tous. On se posait déjà la question : Qui vraiment est à l’abri ? Car, que l’on circule à pied ou en voiture, le soir ou en plein jour, on pouvait à tout moment faire face à ce que redoutaient le plus les habitants de la capitale: se faire braquer par des bandits (des assassins), au risque de tout perdre, téléphone, argent, pièces d’identité ou documents importants, laptop, voitures, …, et même sa vie. On parlait d’une pareille situation que pour la capitale haïtienne. Et ce n’était pas encore l’ère du maudit phénomène du kidnapping qui est devenu l’industrie infernale la plus redoutée de nos jours.
A l’angle des rues Camille Léon et Marguerite, à côté de l’église la Foi apostolique de Turgeau, non loin de mon ancienne résidence (d’où je venais d’assister à une séance d’étude biblique une vingtaine de minutes plutôt), alors que je me rendais à Bois-verna pour prendre un taxi à destination Champ de Mars, je devais y acheter un poulet barbecue, une motocyclette s’avançait vers moi au ralenti. Déjà je présentais qu’il pourrait s’agir de gens mal intentionnés qui frappaient à ma porte. Effectivement. Deux individus, dont l’un main au pistolet, m’ont intimé l’ordre d’arrêter.
Dans ce coin de rue, pas de lampe électrique ni personne qui puisse voler à mon secours. J’étais à la merci de ces individus armés qui disposaient librement de ma vie. Ils m’ont demandé de me dépouiller moi-même et de tout leur rendre. Mais voulant retenir mon téléphone, le conducteur de l’engin disait à son collègue de me loger une balle dans la tête. J’avais, en fait, remis l’appareil, car en pensant soudain à de multiples évènements passés (braquages) où ceux-là qui opposaient une résistance à des cambrioleurs se faisaient froidement assassiner, j’avais résolu que ma vie était plus précieuse et importante que tout ce que je pouvais posséder. Après tout, ils m’ont demandé de rendre aussi mon porte-feuille. Heureusement, je n’aime pas porter ce dispositif. Dans le cas contraire, j’aurais perdu des pièces d’identité importantes ce jour-là.
Avant de disparaitre, les bandits armés m’ont demandé de courir. Je ne savais pas pourquoi je n’avais pas obéi à leur demande, mais j’avais marché, dans l’attente de toute éventualité. Il m’était soudainement venu à l’esprit l’image de scènes d’individus armés se pointant sur des gens paisibles, voire littéralement inoffensifs, les dépouillent, et les tuent avant de prendre la poudre d’escampette. Ils ont démarré et revenaient près de moi pour me demander si je n’avais pas entendu qu’on m’a dit de courir. Mais je n’ai regardé ni à gauche, ni à droite, ni en arrière. J’ai continué de marcher en fixant mes regards droit devant. Je ne me suis tourné la tête qu’après quelques secondes, réalisant que le bruit du moteur du véhicule s’éloignait de moi. Et c’est alors que j’ai eu la certitude que le cauchemar avait pris fin, et que j’étais hors de danger. Dieu merci.
Dans une situation si difficile et terrifiante, seul face à des « sans cœur », des malades sans foi ni loi, et ne pouvant compter sur les autorités étatiques qui ont pourtant la responsabilité de garantir la sécurité des citoyens, seul Dieu peut faire une intervention et empêcher à une personne attaquée d’être victime. Et je crois que c’est grâce à son amour et à sa miséricorde que je peux écrire ce texte pour témoigner de ce que j’ai vécu pendant ces quelques minutes de tension, n’ayant pas été emporté par la machine infernale de l’insécurité qui a déjà emporté tant de concitoyens, nos frères, nos sœurs, nos amis,…
Six ans plutôt, je n’aurais nullement imaginé que le climat sécuritaire du pays allait se détériorer aussi lamentablement. Espérant que cette tendance évoluant du mauvais au pire va enfin se casser, nous constatons avec peine la faiblesse des autorités étatiques qui n’ont pas su s’élever à la dimension de leur responsabilité, consistant notamment à garantir les droits des citoyens dont celui de jouir de la protection des forces de l’ordre. Les filles et fils de la patrie évoluent dans le pays à l’instar d’une bande de réfugiés illégaux qui ont peur de circuler à travers les rues pour ne pas se faire attraper par les services de l’immigration.
Quand les haïtiens cesseront-ils de vivre à la merci des gangs armés pour reprendre le gout de la vie chez eux comme au bon vieux temps?
Fritzner Michel
Lakay info509