FOOTBALL HAÏTIEN :
UNE CRISE À « MILLE TÊTES » !
Par Raymond Jean-Louis
La crise du football haïtien est l’un des points saillants de l’actualité nationale, au même titre que la crise politique. À la seule différence que, en dépit de l’épaisseur des dossiers sociopolitiques, la crise du football, la plus longue de notre histoire sportive, se révèle plus compliquée parce qu’elle n’est pas seulement la résultante d’antagonismes et de divergences d’ordre sportif…
Oui, le pesant dossier du football haïtien dépasse le cadre sportif. Certains débats explosifs sur les réseaux sociaux notamment le prouvent. La passion déborde dans ces échanges où même des intervenants dépassant la soixantaine ne connaissent pas la source ou la profondeur de cette « montagneuse crise ». Cette méconnaissance renforce les racines de cette « crise à mille têtes ».
De plus, ces envolées incendiaires et claniques ne font qu’alimenter le lourd dossier de notre football structurellement en panne. Pour cela, j’exhorte mes jeunes confrères de la presse sportive à ne pas se laisser entraîner par des antagonistes qui défendent la position de leur camp respectif en piétinant trop souvent la sportivité. Soyez prudents jeunes confrères !
Sur certains forums wathsapp, des amis sportifs pensent ou affirment que, en ma qualité de journaliste sénior témoin des regrettables dérapages du passé sur ce circuit, je dois mettre en évidence mon expérience dans ce milieu pour guider mes jeunes confrères sur la piste de certaines « vérités non dévoilées ». Certains disent qu’à mon âge je dois mettre une sourdine à ma réserve pour agir sans crainte.
Tout au long de ma carrière, je n’ai jamais flirté avec la crainte. La preuve, rédacteur au journal Le Nouvelliste, j’avais critiqué un arbitrage d’Edner Pageotte, l’un des « gros pions duvaliéristes » de l’époque. C’était en novembre 1975 après un houleux Violette-Aigle Noir en Coupe Pradel. Pageotte avait réagi dans une « insertion demandée » publiée dans les colonnes du quotidien Le Nouveau Monde, le journal du gouvernement. Et, comme le souhaitait mon collaborateur Carlo Désinor, j’avais répondu correctement, sans tenir compte de ce qui pourrait m’arriver par la suite.
Même lorsque « la liberté d’expression était bridée en Haïti », j’ignorais donc la crainte dans l’exercice de ma profession. Ainsi, je n’avais jamais hésité à intervenir dans des dossiers sensibles qui auraient pu me coûter très cher. Par exemple, ma courageuse intervention dans les colonnes du quotidien Le Nouvelliste en décembre 1976, suite à la stupide et illogique « interdiction de départ » frappant le buteur national Manno Sanon après le match retour Haïti-Cuba (1-1) disputé au stade Sylvio Cator. D’ailleurs, la vedette Ti Manno a mentionné mon intervention en sa faveur dans son 2ème livre.
Concernant d’autres dossiers, j’ai également fait des remarques purement techniques qui m’ont pourtant attiré des ennuis sur la piste de ma carrière de « journaliste sportif indépendant ». Car à une certaine époque, dépassés par les événements, beaucoup de dirigeants avaient écrasé les pédales de la décence et du savoir-vivre. « Les couloirs du ballon rond étant très sombres, il importe de pratiquer le dépassement de soi dans tous les camps pour protéger le football ».
Une anecdote pour démontrer, à ceux qui ne le savent pas, ma ligne de conduite en tant que « journaliste indépendant » qui connait les limites qu’il ne faut pas dépasser. Au lendemain d’un Violette-Bacardi remporté 2-0 par le Vieux Tigre en 1976, j’avais ainsi titré mon reportage : « LE VIOLETTE A GAGNÉ, MAIS ». Le lendemain, un collaborateur, violettiste dans l’âme, m’a demandé : « Raymond, pourquoi ce mais dans le titre » ? Ma réponse était technique et pertinente : « Même le directeur du journal n’a pas le droit d’indiquer à un journaliste ce qu’il doit écrire dans un reportage ». Et, se ravisant, il m’a dit : « Je plaisantais Raymond, ton reportage est correct. J’ai suivi le match à la télévision, la prestation du Violette laissait vraiment à désirer ».
Dans cette orageuse période que traverse le football haïtien, la société sportive attend des tuyaux de solidarité. Car cette crise dégage trop de vapeurs antisportives, extrasportives et même « politiques ». Les jeunes journalistes, les jeunes dirigeants veulent savoir plus. Ils attendent la libération de certaines « vérités cachées ». C’est leur droit le plus entier de demander des comptes. Mais ils doivent mener leur barque de façon à ne pas favoriser les courants qui ne charient que l’antisportivité en abondance.
Depuis quelque temps, je publie des textes d’environ trente (30) ans pour aider les jeunes dirigeants et mes jeunes confrères à comprendre le sens de mon combat en faveur de la gestion du football haïtien. La suite dépend des dirigeants de tous les secteurs, qui doivent défendre les intérêts des différentes associations en ayant soin de poser d’authentiques jalons sportifs sur le terrain du dialogue qui s’impose pour « déraciner la crise ».
« En tenant compte des beaux moments que des centaines de vedettes du ballon rond ont offerts à la nation, cette déroutante crise est une giffle pour le football haïtien ». De ce fait, c’est l’heure des concessions, l’heure d’un dialogue hautement participative, l’heure de repartir en emprutant des sentiers véritablement sportifs, l’heure d’éteindre les flammes de la discorde. C’est le cri de ma « conscience de sankariste et de militant sportif inconditionnel ».
Raymond Jean-Louis
Journaliste sportif indépendant
New-York le 5 septembre 2022