Hommage de l’ex-Ministre de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales (#MICT) sous le gouvernement de transition (2004-006 ) , Paul Gustave Magloire , à l’ex-Premier ministre Gérard Latortue dont les funérailles ont été chantées le 7 mars dernier , en Floride. Une messe de requiem a été organisée en Haïti, à l’Église St Pierre de Pétion-Ville, pour permettre aux uns et aux autres de saluer son départ.
Gérard Latortue est parti debout comme un empereur !
IN MEMORIAM
Je ne pourrai pas, dans cet hommage, tout dire de Gérard Latortue pour qui j’ai tant d’admiration. Mais, je me souviendrai de certains points de son caractère et de ses accomplissements, jusqu’au dernier jour de ma vie. Il avait des traits que seuls possèdent les grands hommes. Je suis passé à Vienne au printemps de 1983. Gérard Latortue, un Directeur de l’Office des Nations Unies pour le Développement Industriel (ONUDI) résidait à Vienne, en Autruche. C’était l’ami de mon grand frère Rigaud Magloire, qui était directeur de l’ONU à Genève, en Suisse. Mon voyage était un long périple qui avait commencé à New York pour arriver à Bruxelles en Belgique. Ensuite, je suis monté à Bonn, capital de l’Allemagne de l’Ouest à l’époque. Le but de ce voyage était de rencontrer des membres de la diaspora qui occupaient des positions élevées dans des instances internationales et dans des grandes entreprises privées. La plupart de ces patriotes avaient quitté Haïti et choisi de faire carrière à l’étranger pour ne pas collaborer avec le régime dictatorial des Duvalier. Mais, la question se posait sur le rôle que ces techniciens pourraient jouer dans un projet de développement rapide du pays dans le cas où un changement de régime surviendrait en Haïti. Donc, je cherchais à trouver une réponse à cette question.
Malgré les risques que cela représentait, je voulais rencontrer beaucoup de monde sur la perspective de l’après Duvalier. De Bonn je suis monté à Genève en voiture avec Jean-Robert Saget pour voir Rigaud. Mon frère avait insisté pour que je passe voir Gérard Latortue à Vienne. Mais, j’avais déjà prévu une rencontre avec un bureau d’architecture à Graz, une autre ville à quelques heures de Vienne où travaillait mon cousin Dodu Paultre. Il avait persuadé ses collègues de visiter Haïti dans le cadre d’un plan de modernisation de notre vielle capitale, Port-au-Prince. J’ai appelé Gérard, il m’a dit qu’il m’attendait pour discuter avec moi du plan d’industrialisation d’Haïti qu’il était en train d’étudier. Gérard Latortue était l’un de nos économistes chevronnés vivant à l’étranger. Je lui ai expliqué que je devais me rendre à Graz, donc, je n’avais pas le temps de le voir. Il m’a demandé pourquoi. Je lui ai expliqué que l’équipe de Graz pouvait trouver une bonne partie des fonds pour le Grand-Projet, à partir des pétrodollars du Nigéria, si on incluait dans notre plan, Port-au-Prince, comme une destination touristique de première classe. Il me verra à mon prochain passage, m’a-t-il dit. Il ne s’est pas plaint que Rigaud l’avait fait travailler pour rien. L’esprit d’équipe prédomine chez lui, me suis-je dit, et le sens de faire œuvre qui vaille pour le pays paraissait être sa principale motivation.
En fait, Marc Bazin, était considéré par la majorité des hauts fonctionnaires internationaux haïtiens, comme la principale personnalité à pouvoir arriver au pourvoir, en cas de départ éventuel de JC Duvalier. En effet, Marc Bazin avait déjà testé le terrain et semblait avoir aussi le support des principaux pays du monde libre et des grands bailleurs de fonds, compte tenu de sa brillante carrière à la Banque Mondiale. Aucune de ces prévisions ne se sont réalisées. À la chute de Duvalier, les grands noms de la diaspora haïtienne sont venus de tous les côtés pour transformer le pays en une démocratie libérale. Donc, ils ont créé plus d’une dizaine de partis politiques pour former, ce qu’ils appelaient, le secteur démocratique. Mais, ceux qui étaient déjà sur place disaient que ce sont eux, au prix de grands sacrifices, qui avaient renversé la dictature des Duvalier. Ils formaient le secteur populaire, avec une myriade d’organisations de bases, de groupes de quartier et de militants des petites églises. Beaucoup d’eau et de sang vont couler sur les ponts. Comme disait le Général Henry Namphy, le Président du Conseil National de Gouvernement, (CNG), c’était une bamboche démocratique, un temps d’ivresse. Il attendait le bon moment, a-t-il dit. Les militaires et la vielle garde duvaliériste, qui étaient écartés du pouvoir par la Nouvelle Constitution, le jour des élections du 28 novembre 1987, ont massacré le peuple, avec bulletin en main dans les bureaux de vote, ont pris le pouvoir et sont devenus les seuls maitres à bord. Tous les beaux plans sont restés dans les tiroirs…
Le professeur Leslie Manigat a fait un compromis avec les militaires pour devenir président. Il avait appelé Gérard Latortue, son ami de longue date à devenir le Ministre des Affaires Etrangères et des Cultes de son gouvernement. Mon ami, Jean-Robert Saget, devenu Ambassadeur, m’a engagé comme consultant pour entrer en Haïti avec une mission d’investisseurs européens de haut niveau. J’en ai parlé à Tom Désulmé, dont j’étais le conseiller au Parti National du Travail (PNT), pour avoir son avis. Il m’a dit : « ce serait une bonne chose de supporter Président Manigat. Car, sans le support du secteur démocratique, il allait être coincé par les militaires et risquait même d’être renversé très vite. On perdrait la chance pendant longtemps de voir la démocratie s’installer dans notre chère Haïti ». Manigat avait monté un gouvernement avec des gens capables et de bonne réputation. Gérard Latortue était un membre important de cette équipe qui travaillait sur un plan de développement et de modernisation du pays. Arrivé à la Chancellerie avec la délégation d’investisseurs et d’entrepreneurs, l’accueil de Gérard Latortue était très chaleureux, à tel point, que je me demandais comment a-t-il pu oublier que je n’étais pas venu le voir à Vienne. J’ai compris qu’il s’en souvenait très bien seulement quand il m’a demandé habilement et discrètement comment allait Rigaud. En concluant, il eut à me dire qu’il était content que je sois là, et me souhaitait un bon séjour. Il m’a donné sa carte de visite en me disant que je pouvais l’appeler à n’importe quelle heure. Gérard Latortue, nous avait expliqué qu’on devait dynamiser l’économie du pays en mettant l’accent sur l’agriculture, l’industrie et le tourisme. Sinon, Haïti risquait d’être rattrapé par la République Dominicaine…
La mission d’investissement était au pays pour une semaine. Nous avons survolé principalement le Grand-Nord (Nord-ouest, Nord, Nord-Est) pour voir les sites que nous voulions développer, avec des projets comme une plantation de manioc sur 20,000 hectares pour la fabrication d’amidon pour l’industrie pharmaceutique, un grand parc industriel pour les industries d’assemblage, de motos, de bicyclettes de course, et de bien d’autres entreprises encore. Le plan incluait aussi des voies ferroviaires, un système de mariage routier et de ports de plaisance et de cabotage, des hôtels et des restaurants. Nous étions plusieurs du secteur privé à travailler sur ces projets, comme l’ingénieur Anthony Drouin, Roland Acra, Reynold Bonnefils, Michel Monnin, Jean G. Legagneur Sr, Gaston George, Lionel Pressoir, et beaucoup d’autres.
Quelques semaines seulement après le passage de la mission d’investissement, l’armée avait choisi de renverser le Président Manigat. Malgré une longue amitié avec le Général Namphy, Gérard Latortue avait choisi de retourner à Vienne.
Nous sommes restés en contact de façon assez étroite, autant qu’au niveau professionnel qu’au niveau amical. Beaucoup d’années se sont écoulées, Gérard Latortue était devenu Premier Ministre en 2004. Je vivais à Washington à cette époque. Il avait alors sollicité ma présence auprès de lui en Haïti et m’avait nommé Conseiller Spécial de son gouvernement, avec rang de ministre. Et par la suite, il me nomma Ministre de l’Intérieur de son gouvernement. Un soir, il m’avait invité chez lui à diner, ce qu’il faisait assez souvent pour discuter de ce qu’on avait à faire le lendemain. J’ai noté, cependant, qu’on allait servir du champagne. Je lui ai dit que je ne savais pas qu’il allait recevoir du grand monde, sinon je serais passé chez moi me changer. Il m’a dit, mon cher, le grand monde c’est toi. Aujourd’hui, fait une année depuis que tu es revenu au pays pour me donner un coup-de-main et servir ton pays comme le Conseiller Spécial du gouvernement. Nous devons trinquer à cette grande amitié et je veux te dire « MERCI ».
Merci aussi vieux frère ! Tu n’as pas pu faire tout ce que tu voulais pour notre pays, mais tu en as vraiment fait beaucoup. En 2006, tu lui as rendu sa « Démocratie » !
Dans un sincère esprit de solidarité et fraternité, je te dis au revoir, avec tout mon respect et toute mon amabilité !