La crédibilité du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) dans l’entonnoir de la certification

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La crédibilité du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) dans l’entonnoir de la certification

 

 

Introduction. Le 16 janvier 2023, l’organe d’administration du conseil supérieur du pouvoir judiciaire a rendu public le rapport de la dernière vague de certification des magistrats. En effet, près de 50% des dossiers analysés ont été rejetés. La publication de ce rapport a provoqué un « séisme » dans le système judiciaire. La presse s’y en est mêlée. Les personnalités invitées à faire comprendre la grogne montante à la fois contre cette judicature et les méthodes douteuses de récolement des données au niveau de la commission de certification n’arrivent toujours pas à démener l’écheveau du travail. Entre-temps, le représentant des Barreaux au cspj, dans le Point de Radio Métropole, a poussé sa rhétorique à la limite de l’indécence contre l’un des juges épinglés par le rapport contesté. Les vagues en flux et reflux de cette mer agitée ne sont pas prêtes de s’apaiser. Ainsi l’Office de la protection du citoyen et de la citoyenne, dans une note en date du 11 février 2023, déclare ceci : « Tout en poursuivant sa campagne de plaidoyer dans la perspective d’une révision des lois créant le CSPJ et celle portant statut de la magistrature par la prochaine législature, en vue de leur conformité avec les instruments internationaux, l’opc recommande au cspj de se pencher sur les recours exercés par les magistrats non-certifiés conformément aux principes universels consacrant les garanties judiciaires en particulier, le droit à la défense, le droit à un recours effectif et à la présomption d’innocence ». La conclusion de cette note est interpellatrice. Elle parait en même temps un commandement, tant l’autorité de l’opc dans le domaine du respect des droits de citoyens ne devrait souffrir d’objection ou du moins de contestation. Elle s’apparente enfin à une porte ouverte pour sortir le cspj dans l’enlisement de ses méthodes marécageuses. Cela peut-il se passer sans saigner la crédibilité de cette jeune institution pourtant habile en méthodes politiciennes de la mise en joue de la loi et de la concorde citoyenne ? Pourquoi, notre démarche d’analyser la crédibilité du CSPJ empêtrée dans l’entonnoir de la certification. L’hypothèse ainsi dégagée permet d’aller à la conclusion que l’absence de règles claires et connues de tous adoptées pour la certification, et la mise en joue de la loi en permanence ont desservi spectaculairement les objectifs de cette judicature, tombée de charybde en scylla depuis l’acte honni du 16 janvier 2023.

 

Développement.- 

 

Dans « Haïti : la justice empoisonnée », Jean Frédérick BENECHE a fait écho de ceci : « Les membres du conseil supérieur du pouvoir judiciaire, outre qu’ils « gèrent et administrent le budget de fonctionnement alloué aux cours et tribunaux », jouent un rôle capital dans la nomination des juges. Ce sont eux qui proposent au président de la République via le ministre de la justice et de la sécurité publique la nomination des magistrats du siège, en attendant la mise en œuvre des prescrits constitutionnels pour la nomination des juges ». De plus, l’article 68 de la loi portant statut de la magistrature déclare : « en attendant l’installation des Assemblées Départementales et Communales, la procédure de nomination des Juges se fait, après certification, dans les conditions prévues par le Décret du 28 août 1995 relatif à l’Organisation Judiciaire ».

 

La clarté dégagée de l’article cité plus haut permet de comprendre que les juges nommés sous l’égide du conseil supérieur du pouvoir judiciaire, c’est-à-dire à partir de la date d’installation du conseil de gouvernance de l’autorité judiciaire le sont en ayant subi en amont la certification préalable. Il est donc d’une inutilité déconcertante de venir expliquer par la suite qu’ils n’ont pas été certifiés. L’admission de l’hypothèse que le cspj aurait failli à sa mission régalienne de protéger la justice en y laissant entrer des gens de tout acabit n’est pas d’actualité. Car, si elle était retenue, les conseillers seraient dans l’obligation de démissionner et de se mettre disponible pour la justice. Une façon de permettre l’application des dispositions de l’article 12 de la loi créant le cspj : «  Tout membre du conseil supérieur du pouvoir judiciaire peut être poursuivi pour faute grave commise dans l’exercice de sa fonction ». Mais une ambiguïté outrageante subsiste puisque les conseillers, avec leur pluralité de statuts, ne sont pas redevables des mêmes tribunaux. Possible cas de litispendance.

 

La réalité nettement occultée, d’aucuns pourraient se réfugier dans les dispositions de l’article 41 de la loi créant le cspj  et de l’article 69 de loi portant statut de la magistrature, rédigés en des termes presque identiques pourdéclarer que la mission du cspj est de certifier les magistrats ; il l’a fait et c’est fini :  « Les juges, tous rangs et tous grades confondus, occupent leurs fonctions jusqu’à ce que le poste soit pourvu conformément à la constitution et qu’ils aient été certifiées quant à leur compétence et intégrité morale afin d’obtenir leur approbation du conseil supérieur du pouvoir judiciaire, aux fins de nomination conformément à la Constitution ». Vrai est que le conseil doit se charger de la certification des magistrats qui étaient en fonction avant l’installation du CSPJ. Ces derniers occupent leur fonction jusqu’à ce que le poste soit pourvu conformément à la constitution. L’analyse grammaticale de l’article induit que leur certification  sera évoquée au moment de la mise en œuvre complète de la constitution quant à la procédure de nomination des juges. La publication donc de rapport déclarant non certifié tel ou tel juge en dehors de ce cadre parait un acte gratuit d’assassinat de caractère. 

 

Le législateur n’a rien fait au hasard. À l’article 68 de la loi portant statut de la magistrature, il donne la responsabilité au cspj d’organiser en amont la certification des candidats à la fonction de juge ; ce qui leur permet, s’ils deviennent juges, de rester en poste jusqu’à la mise en œuvre du chapitre de la constitution traitant de la question des juges. Et à l’analyse de l’esprit de l’article 69, il est fait obligation au conseil, sitôt institué, d’engager la procédure de certification des juges déjà en poste pour qu’ils puissent continuer à exercer leurs fonctions.

 

La certification est donc un devoir du CSPJ. C’est la voie incontournable de moralisation de la justice. Comment accomplir cette mission ? À ce niveau, le cspj se mord les doigts pour ne s’être pas entouré d’acteurs compétents et diligents dans la mise en œuvre de la loi. En effet, l’article 70 de la loi portant statut de la magistrature dispose que : « une procédure de certification des juges et des officiers du ministère public est organisée par le conseil supérieur du pouvoir judiciaire, conjointement avec le ministère de la justice et de la sécurité publique ».

 

Le cspj et le ministère de la justice organisent la procédure de certification. Ces deux institutions qui co-pilotent le système judiciaire sont dans l’obligation de créer le cadre légal de l’organisation de la certification. C’est donc à ce niveau qu’il faut aller vérifier la première hypothèse consistant en l’absence de règles claires et connues de tous adoptées pour la certification.

 

La certification est le processus vital de l’intégrité de la magistrature. Elle ne peut s’opérer par à-coups. Elle doit s’insérer dans une dynamique incompressible de changement perceptible et résolu dans la mécanique à la fois de l’administration judiciaire et de l’art de juger. Il en va de la confiance du public dans l’administration et dans l’indépendance de la justice. 

 

Outil efficace du changement de perception du pouvoir judiciaire, la certification devient le référent existentiel comme nouvelle forme de régulation dans la justice. Comment donc ne pas établir une procédure de certification connue de tous ? Force est pourtant d’admettre que dans les systèmes de droit écrit, il n’y a de procédure que celle écrite et publique.

 

Le CSPJ refuse de jouer la transparence dans la certification. La réalité est qu’il peine à mettre au clair les règles confectionnées de concert avec le ministère de la justice pour l’intégrité de la certification. En réalité, le ministère de la justice qui a un rôle pesant dans la construction de ces normes fait pâle figure dans le débat ambiant sur les rapports de certification arcboutant le CSPJ. Les crues de la digression tempêtent si fort ces derniers temps qu’il parait inconcevable que le ministère de la justice n’ait pas publié les règles mêmes confidentielles organisant la procédure de certification des magistrats. La surdité observée à l’égard de ce tapage prolongé est révélatrice de l’inexistence de règles d’édicter pour la conduite de la certification des juges. Ainsi donc, quand on fait à sa guise, il devient impossible de ne pas juger les autres à son aune.

 

Or c’est la loi qui, en posant les règles propres à chaque matière, en détermine les formes. Elle a le bénéfice de la clarté et de la généralité. À ce propos, Carré de Malberg nous dit que la loi est l’expression de la volonté générale. Alors, elle ne peut être que neutre et impartiale. C’est sa neutralité et son impartialité qui la couvrent de son caractère obligatoire et évitent à elle les vermines de la protestation. Posée, elle impose, commande et oblige à l’obéissance. En ne posant pas de règles claires connues de tous qui servent à irriguer les étroits sentiers de la certification des magistrats, le CSPJ joue à l’arbitraire. Cette crise du principe de légalité instituée est de nature à jeter un travail même bien fait dans la puanteur des eaux usées des égouts engorgés.

 

La seconde hypothèse est fondée sur le fait que la mise en joue de la loi orchestrée par les conseillers a desservi spectaculairement les objectifs de cette judicature. Quelle loi donc a-t-elle été violée délibérément par le cspj ?

 

La loi sur le statut des magistrats est mise à mal par le CSPJ. Le peu de souci fait à la loi ne distingue pas les conseillers des politiciens au gouvernement. Il s’agit d’une gouvernance opaque, montée pour ne pas rendre des comptes. En plus de dix ans d’existence, l’administration du CSPJ n’a jamais été auditée. Peut-être la cour supérieure des comptes et du contentieux administratif n’a pas la compétence requise pour s’en occuper. L’on peut objecter qu’il est facile de dénoncer des administrateurs pourviolation de la loi dans ce pays ponctué par la déloyauté des combats lorsqu’on est en responsabilité ; mais il est clair que la procédure de la certification, si elle existe, reste dans la tête des conseillers et des experts/certificateurs. Cela a donc tout l’air de la prestidigitation. Or il est une obligation de la loi de confectionner la procédure de la certification des magistrats. Peut-on donc arguer qu’elle est intime au CSPJ ? Ce serait une tour de magie de plus consistant à placer les magistrats dans la périphérie de l’organe de gestion du pouvoir judiciaire, leur refuser le droit de se renseigner sur ce qui se passe là-bas, leur obliger à rester impassibles devant l’amateurisme des administrateurs et l’organisation du naufrage de l’indépendance du pouvoir judiciaire.

 

La façon débridée de mettre en joue la loi est en soi un acte d’assassinat de l’ordre de la loi. Elle consiste à nier le fait que l’ordre de la loi a des incidences sur la vie des individus et celle des communautés, et que la mise à disposition des administrés des règles existantes permet derendre responsables ces derniers, tout en canalisant leur respect du prédicat posé.

 

La porte de sortie honorable organisée par l’Office de la protection du citoyen pour le CSPJ doit être analysée au niveau du respect des règles. « L’OPC recommande au cspj de se pencher sur les recours exercés par les magistrats non-certifiés, sic ». 

 

Primo, les magistrats épinglés par le rapport ne peuvent exercer de recours devant le CSPJ. L’ayant fait, ils valideraient l’existence d’une procédure portée à leur connaissance. Car recours, en droit, est un acte de procédure consistant à demander à une instance supérieure d’analyser les errements de jugement d’une instance inférieure ou à demander à une instance décisionnelle de revoir sa décision pour les erreurs de jugement supposées qu’elle comporte. Cet acte de procédure n’existe pas in nihilo.

 

Deinde, le CSPJ, malgré son appétence pour les choses faciles effectuées dans l’éloignement du droit et de la loi, ne peut pas s’engouffrer davantage dans ce sable mouvant qui ébranle déjà sa crédibilité. Car il a déclaré par l’un de ses représentants que la certification et la non-certification ne sont pas des décisions juridictionnelles relevant de l’exercice du pouvoir disciplinaire du cspj. Il demeure toutefois entendu que la loi organise la procédure disciplinaire devant le cspj. À l’article 22 de la loi créant le cspj, il est décliné le mode de saisine : «  En matièredisciplinaire, le conseil supérieur du pouvoir judiciaire est saisi :

1. Soit par le ministre de la justice et de la sécurité publique ;

2. Soit par le doyen du tribunal civil, en ce qui concerne les magistrats du siège en poste dans le ressort de son tribunal et pour les juges du tribunal de paix ;

3. Soit par le président de la cour d’appel, en ce qui concerne les magistrats du siège en poste dans le ressort de sa cour ;

4. Soit, selon les modalités énoncées à l’article suivant, par toute personne estimant avoir été directement victime du comportement d’un magistrat susceptible d’engager sa responsabilité disciplinaire ».

 

À terme, l’eldorado offert ne peut que plonger davantage le cspj dans les eaux sulfureuses et boueuses de la négation de la loi.

 

Deinde ad extremum, la décision de la certification ou de la non-certification de magistrats n’est pas une décision administrative au sens classique, étant entendu que cette dernière est le fait d’une autorité administrative qui applique la loi à un administré. Cela donc suppose qu’une règle a été posée ; qu’une procédure a été instituée ; que de la capacité a été donnée à une instance décisionnelle pour mettre en œuvre la loi. Une fois donc appliquée la procédure et décidée la sanction en conformité de la norme établie, il s’est produit un effet juridique contraignant. Or,tel n’est pas le cas dans le cadre de la certification des magistrats.

 

En clair, la certification organisée sans règles ni bornes qui a déjà mis à mal la dignité et la renommée de tant de personnes et de familles, constitue pour le moins un acte arbitraire à casser sans délai ce, soit par l’organe qui a pris conscience qu’il sombre dans l’arbitraire et veut se reprendre, soit par les tribunaux. Le CSPJ est-il redevable devant les tribunaux ?

 

En temps normal, le président de la République, arcbouté derrière l’article 136 de la Constitution « Le Président de la République, Chef de l’État, veille au respect et à l’exécution de la Constitution et à la stabilité des institutions. Il assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État », pourrait prendre sur lui l’arbitrage de cette question et remettrait le CSPJ dans la marche de la loi. Mais on en est loin de ce temps. Et le temps du merveilleux ne semble que commencer.

 

En guise de conclusion.

 

La certification a pour vertu entre autres d’asseoir la légitimité du pouvoir judiciaire. Cette légitimité, elle, sert de nourrice de l’indépendance judiciaire. C’est donc cette indépendance qui assure dans une large mesure la commande du respect des citoyens tant envers la justice qu’envers les juges. N’ayant pas été faite selon des règles claires et connues de tous, elle devient le pied-de-nez de la présente judiciature, qui semble chercher une honorabilité dans la liquidation malveillante des juges. Tel est pris qui croyait prendre !

 

 

 

Me Jean Frédérick BENECHE, Av.- 

      Juge de Cour d’Appel

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