La date d’adoption des textes normatifs : Serait-ce un imbroglio juridique ?
Par Jean Barnave CHERON
Dans tous les domaines de la science, il n’y a rien qui ne soit laissé au hasard, tout est organisé, selon des méthodes déterminées par des lois. Qu’on le qualifie de science, qu’on le qualifie d’art, le droit est aussi organisé. La loi du 26 juillet 1979 ou la loi du 29 juillet 1979 ? Cette question est anodine, diriez-vous ! Pourtant, il ne s’agit ni d’un conflit de loi, ni d’un conflit de juridiction, mais d’un conflit de date d’adoption pour une seule et même loi. Alors que nous attendions l’arrivée des inculpés à la cour d’Appel de Port-au-Prince, chacun, de son côté, était plongé dans une lecture approfondie de la loi sur l’appel pénal. L’un avec le code d’instruction criminelle mis à jour et annoté par Menan PIERRE-LOUIS et Patrick PIERRE-LOUIS et l’autre avec celui mis à jour par Jean VANDAL. Dans le premier, il est mentionné : Loi du 29 juillet sur l’appel pénal et dans le second, Loi du 26 juillet sur l’appel pénal, Moniteur N0 65 du 16 août 1979. Curieux, on s’interrogeait sur le pourquoi de l’adoption de deux dates différentes pour un seul et même texte. Anomalie juridique, imbroglio juridique, n’est-ce pas ?
Contrairement aux autres confrères et représentants du ministère public qui, à travers la lecture de leur acte d’appel respectif, ont tous fait choix du 26 juillet 1979 comme date d’adoption de la loi sur l’appel pénal, nous avons la certitude, conformément aux prescrits de la constitution de 1971, que c’est la date du 29 juillet 1979 qui en est la date d’adoption. Voilà le constat alarmant duquel part notre article sur la problématique de la date d’adoption des textes normatifs en Haïti. Inutile d’admettre, à bon escient, qu’un tel article paraît bizarre, voire étrange aux yeux des initiés en droit. Vous nous pardonnerez de contextualiser pour asseoir le bien-fondé et l’utilité d’une telle démarche académique. Il n’est pas du tout superflu d’écrire un tel article, dans le souci d’attirer l’attention de plus d’un. Car, même au sommet du système judiciaire, le problème sur la date véritable des textes normatifs se pose.
Du premier janvier 1804, date de notre Indépendance à nos jours, soit 220 après, nous avons deux siècles de constitutions. En effet, sans tenir compte des cinq amendements constitutionnels que le pays a connus, les textes ont toujours eu une date certaine et précise. Il est nécessaire, pour une meilleure compréhension, de scinder ce travail, de manière chronologique. Les constitutions haïtiennes du 19e siècle sur la date d’adoption des textes normatifs nous intéressent particulièrement, (A), d’une part. D’autre part, nous analyserons les constitutions du 20e siècle jusqu’à celle de 1987 amendée, en ce qui concerne la date d’adoption des textes normatifs (B), dans le but de mettre un terme à cet imbroglio juridique, afin de donner les raisons justificatives de l’article (C).
A- La date d’adoption des textes normatifs au regard des constitutions haïtiennes du 19e siècle
Comme nous l’avons déjà précisé, la date d’adoption des textes normatifs n’est pas laissée au bon vouloir de leurs utilisateurs, mais à la sagesse du législateur. Qu’il s’agisse du pouvoir législatif, dont la mission première est de légiférer, qu’il s’agisse du pouvoir exécutif dans sa mission législative, en raison du principe de l’érosion de légalité, le constat est le même. Il existe, conformément à l’esprit et à la lettre du législateur, une date précise à chaque norme juridique.
Si la première constitution de l’Etat haïtien de 1801, avant même notre Indépendance, ne précise pas la date de la loi, mais elle dispose en son article 21 : « Aucune loi ne sera obligatoire pour les citoyens que du jour de la promulgation aux chefs-lieux des départements […] ». Il est clair que le législateur de 1801, avait compris la nécessité pour les citoyens de connaitre l’existence des lois, avant même leur application envers et contre tous. Quant à la constitution de 1806, en son article 101, elle prescrit : « Le Président fait sceller les lois et les autres actes du sénat dans les deux jours après leur réception. Il fait sceller et promulguer dans le jour, des lois et actes du sénat qui sont précédés d’un décret d’urgence ». Selon les dispositions de cet article, la loi est obligatoire pour les citoyens le jour de sa promulgation par le Président de la République, sans préciser pour autant que la loi prend date du jour de sa promulgation.
C’est la même logique d’obligation de la constitution de 1806 qui est suivie par celle de 1816. Car, en son article 139, elle dispose: « Toute loi est obligatoire dans les vingt-quatre heures de sa promulgation dans la Capitale, dans les trois jours pour son arrondissement ; dans les huit jours pour les autres arrondissements du département, et dans un mois pour toute la République ». Si la date de la loi n’est pas précisée dans cette constitution, elle devient obligatoire sur toute l’étendue du territoire de la République, un mois après son adoption. Ni la constitution de 1806, ni celle de 1816 ne prescrivent la date de promulgation comme celle que prend la loi.
La constitution de 1843, est la première à avoir précisé, de manière claire la date véritable de la loi. En son article 96, elle prescrit : « La loi prend date du jour où elle a été définitivement adoptée par les deux chambres […] ». Il ne fait aucun doute que c’est la date du second vote par les deux chambres qui est la date d’adoption de la loi. La constitution de 1846, de son côté, n’a fait aucune mention quant à la date précise de la loi. Cependant, le fait que l’article 139 de la constitution de 1843 n’est pas abrogé, on présume qu’elle est restée en vigueur en ce qui concerne la date réelle de la loi.
La constitution de l’Empire, la révision de 1849, est la première de toutes les constitutions du pays à avoir décidé autrement en ce qui concerne la date précise de la loi. En son article 95 dispose : « La loi prend date du jour où elle a été promulguée ».La révision de 1849 est la première à avoir considéré la date de la promulgation de la loi comme celle attribuée à la date d’adoption de la loi. Dix-huit (18) ans après, on revient à la date du second vote comme date de la loi. La constitution de 1867 a repris les contenus de l’article 96 de la constitution de 1843. Elle dispose en son article 95 : « La loi prend date du jour où elle a été définitivement adoptée par les deux chambres ».
Quant à la Constitution de 1874, elle dispose en son article 97: « La loi prend date du jour qu’elle a été promulguée ». Cette constitution et celle de 1849 sont les seules à considérer la date de la promulgation comme date d’adoption de la loi. Il est important de noter qu’à part ces deux constitutions, aucune autre constitution du pays ne fait référence à la date de promulgation comme date d’adoption de la loi. La constitution de 1879 revient à la date du second vote. Ainsi, en son article 92, elle prescrit : « La loi prend date du jour où elle a été définitivement adoptée par les deux chambres ; mais, elle ne devient obligatoire qu’après la promulgation qui en est faite conformément à la loi ». Selon cette constitution, tant que la loi n’est pas promulguée, elle n’est pas obligatoire. La constitution de 1889 a gardé la même teneur de l’article 92 de la constitution de 1879. Elle dispose en son article 82 : « La loi prend date du jour où elle a été définitivement adoptée par les deux chambres ; mais, elle ne devient obligatoire qu’après la promulgation qui en est faite conformément à la loi ». C’est la promulgation qui rend la loi obligatoire sur tout le territoire de la République, mais elle ne constitue pas pour autant sa date d’adoption. Qu’en est-il des constitutions du 20eme siècle, en ce qui concerne la date d’adoption des textes normatifs ?
B- La date d’adoption des textes normatifs au regard des constitutions haïtiennes du 20e siècle jusqu’à celle de 1987.
La première constitution du 20e siècle, à savoir celle du 12 juin 1918, continue sur la même lancée, en ce qui concerne la date que prend la loi. Elle dispose en son article 67 : « La loi prend date du jour où elle a été définitivement adoptée par les deux chambres ; mais, elle ne devient obligatoire qu’après la promulgation qui en est faite conformément à la loi ». Comme c’est le cas pour les deux précédentes constitutions, la date de la promulgation ne confère que le caractère obligatoire à la loi. La constitution du 15 juillet 1932, n’a rien changé quant au contenu de l’article 67 de celle du 12 juin 1918. L’article 70 prescrit: « La loi prend date du jour où elle a été définitivement adoptée par les deux chambres ; mais, elle ne devient obligatoire qu’après la promulgation qui en est faite conformément à la loi ». C’est donc la date du dernier vote qui continue d’être considérée comme la date d’adoption de la loi.
La constitution du 22 novembre 1946 n’a rien changé non plus, dans la lettre et dans l’esprit des textes précédents. En son article 76, elle prescrit: « La loi prend date du jour où elle a été définitivement adoptée par les deux chambres ; mais, elle ne devient obligatoire qu’après la promulgation qui en est faite conformément à la loi ». Que ce soit dans les constitutions du 19e siècle que dans celles du 20e siècle, la date de publication de la loi n’est jamais considérée comme la date d’adoption du texte normatif. Cette précision est nécessaire, dans la mesure où de nos jours, les gens ont tendance à donner la date de publication aux textes normatifs. En ce qui concerne la constitution de 1950, Elle prescrit en son article 72 : « La loi prend date du jour où elle a été définitivement adoptée par les deux chambres ; mais, elle ne devient obligatoire qu’après la promulgation qui en est faite par le Président de la République ». On a seulement précisé que la promulgation est la prérogative du Président de la République, sans abroger les dispositions des trois constitutions qui précèdent.
De son côté, la constitution de 1957, mise à part la promulgation, exige que la publication soit effective pour que la loi soit obligatoire pour les citoyens. Elle prescrit en son article 80 : « La loi prend date du jour où elle a été définitivement adoptée par les deux chambres ; mais, elle ne devient obligatoire qu’après la promulgation qui en est faite par le Président de la République et sa publication suivant les modes établis par la loi ». La constitution de 1964, emboite le pas à celle de 1957, avec la même teneur en ce qui concerne le caractère obligatoire de la loi. Ainsi, son article 84 dispose: « La loi prend date du jour où elle a été définitivement adoptée par les deux chambres ; mais, elle ne devient obligatoire qu’après la promulgation qui en est faite par le Président de la République et sa publication suivant les modes prévus par la loi ». Comme c’est le cas pour la constitution de 1957, la publication est indispensable pour que la loi soit obligatoire pour les citoyens.
L’article 84 de la constitution de 1971 dispose: «La loi prend date du jour où elle a été définitivement adoptée par les deux chambres ; mais, elle ne devient obligatoire qu’après la promulgation qui en est faite par le Président de la République et sa publication suivant les modes de la République prévus par la loi ». À part les constitutions de 1849 et de 1874 qui ont donné la date de promulgation aux lois comme date d’adoption, toutes les autres constitutions du pays s’accordent en ce qui a trait à la date que doit prendre la loi. C’est la date du vote définitif. C’est aussi le cas de la constitution de 1971. Le même constat est fait pour la constitution de 1983 qui prescrit en son article 92: « La loi prend date du jour où elle a été définitivement adoptée par les deux chambres ; mais, elle ne devient obligatoire qu’après la promulgation qui en est faite par le Président de la République et sa publication suivant le mode prévu à l’article 91 précédent ».
Enfin, la constitution de 1987 en vigueur, qu’il s’agisse de la version originale, qu’il s’agisse de celle amendée, c’est la date de l’adoption définitive qui est attribuée à la loi. Elle prescrit en son article 126 : « La loi prend date du jour de son adoption définitive par les deux (2) chambres ». Il est tout à fait incompréhensible et inconcevable que des hommes de loi divergent sur la question de la date d’adoption d’un texte normatif, lorsque nous savons que le législateur, à travers les constitutions, ne laisse jamais au hasard ce point crucial dans la législation nationale. Ces analyses nous ont poussé à justifier les raisons d’être d’un tel article qui, pour certains, serait anodin.
C- Les raisons justificatives de l’article
Y-aurait-il des raisons valables qui justifieraient cet article dans le monde juridique, lorsqu’on pense surtout qu’il pourrait s’agir d’une question sans intérêt ? Dans le code pénal mis à jour par Me Jean VANDAL, on lit : « Loi du 26 juillet sur l’appel pénal, Moniteur N0 65 du 16 août 1979 ». À la lecture de cette phrase, une simple logique juridique suffirait aux hommes de loi de faire une idée sur la date véritable de cette loi. Si la date du 29 juillet existe comme celle du 26 juillet dans le texte, cela sous-entend que le premier vote a eu lieu le 26 et le vote définitif le 29 juillet. De toute façon, il ne fait aucun doute, cette loi sur l’appel pénal qui nous pousse à rédiger cet article, est prise sous l’égide de la constitution de 1971. En son article 84, elle dispose: « La loi prend date du jour où elle a été définitivement adoptée par les deux chambres […] ». Là, tout est dit, tout est clair. La loi sur l’appel pénal qui est publiée au Moniteur N0 65 du 16 août 1979, prend la date de son adoption définitive, soit le 29 juillet 1979, en conformité des dispositions de l’article 84 de la constitution de 1971.
Poser des questions a toujours été le réflexe de tous ceux qui sont en quête du savoir. Car, aucun auteur n’est complet, aucun intellectuel n’est complet, peu importe le domaine dans lequel il évolue. Si le philosophe Socrate a eu la clairvoyance de dire que nous sommes tous des ignorants, ce n’était pas pour décourager les chercheurs du savoir, mais plutôt pour les encourager à pousser leurs réflexions jusqu’au bout des bouts. Nous n’avons pas tort de mentionner que le constat est alarmant, voire interrogatif, dans la mesure où même les initiés en droit, des gens qui s’y connaissent, tâtonnent sur la date véritable des textes normatifs. Sans se soucier des prescrits constitutionnels qui précisent, sans ambages, la date des normes dans la République, des gens qui, pourtant, sont censés être des experts en la matière, sont confus quant à la date d’adoption de la loi.
De la séparation des pouvoirs, on passe à la répartition des pouvoirs. Cela autorise les institutions régulatrices à légiférer dans le domaine de leur compétence. Quant au pouvoir exécutif, avec l’érosion du principe de la légalité, il est habilité à légiférer au même titre que le pouvoir législatif, lorsque le Parlement est inexistant. S’agissant des institutions régulatrices, même avec la présence du pouvoir législatif, elles exercent leurs fonctions normatives. Selon que l’on soit en présence d’un texte normatif ayant subi le principe de la navette parlementaire ou en présence d’un texte normatif pris, soit par le pouvoir exécutif, soit par les institutions régulatrices, la considération n’est pas la même.
D’abord, lorsqu’il s’agit d’une loi, quatre dates sont insérées dans le texte :
1- La date du premier vote par l’une des deux branches du Parlement ;
2- La date du second vote par l’autre branche du Parlement ;
3- La date où le Président de la République ordonne que la loi soit revêtue du sceau de la République, publiée et exécutée. C’est la promulgation, et
4- La date de publication de la loi.
Ensuite, quand il est question d’un décret, d’un arrêté, le texte comprend deux dates :
1- La date où le texte est pris en Conseil des ministres, au Palais national ou à l’institution régulatrice;
2- La date de publication dans le Journal officiel de la République, Le Moniteur.
En ce qui concerne la loi sur l’appel pénal qui fait l’objet de notre article, deux arrêts de la Cour de cassation nous confortent dans notre position. À la lecture de ces arrêts, nous constatons que même au niveau de la Cour régulatrice, la méconnaissance de la date d’adoption des textes normatifs se pose. D’abord, dans un arrêt du 6 août 1987, nous lisons : « Selon les prescriptions de l’article 18 de la loi du 26 juillet 1979 sur l’appel des ordonnances du juge d’instruction, le ministère public, l’affaire retenue à l’audience sera entendue sans remise ni tour de rôle ; le ministère public, les parties et leurs défenseurs seront entendus dans leur exposé, dans la lecture de leur requête, dans des observations sommaires. Ainsi, aucune restriction n’est ordonnée quant à la publicité de l’audience ». Arrêt du 6 août 1987, Cass. 1ere section, JEAN-BAPTISTE Jacob, Bulletin des arrêts de la Cour de cassation 1987, pp152 et suiv.
Ensuite, dans un autre arrêt du 25 avril 1989, 2eme section, il est dit : « Aux termes des articles 166 et 268 C. Inst. Crim. del’article 18 de la loi du 26 juillet 1979 sur l’appel pénal, il est de règle que le prévenu ait la parole en dernier. Cette disposition légale n’est pas une faculté, mais bien une injonction dont la violation doit entrainer l’annulation de l’instruction et de tout ce qui peut s’ensuivre. Cette formalité obligatoire est prévue par le législateur pour prémunir les prévenus contre tout abus possible ». Arrêt du 25 avril 1989, Cass. 2eme section, JEAN-BAPTISTE Jacob, Bulletin des arrêts de la Cour de cassation de la République 1989, pp 99 et suiv. Dans ces deux arrêts, on voit que les honorables juges de la Cour régulatrice préfèrent la date du 26 juillet à celle du 29 juillet lorsqu’ils se réfèrent à la loi sur l’appel pénal, ce qui est contraire aux prescrits de la constitution de 1971.
Analysant les irrégularités juridiques graves dans l’arrêt du 11 octobre 2005 rendu entre Dumarsais Mécène SIMEUS et le Conseil électoral provisoire par la Cour de cassation en matière électorale, le professeur du droit constitutionnel, MonferrierDORVAL en a profité pour écrire un article, sous le titre : « Qui doit protéger nos droits ? ». Cette interrogation de l’auteur pourrait être adressée de nos jours, tant aux autorités judiciaires qu’aux autorités politiques, dans la mesure où tous les droits des citoyens haïtiens sont violés et bafoués systématiquement, comme si violer la loi était un privilège.
En ce qui concerne la date exacte de la loi qui n’est respectée même pas par des hommes de loi, qui sont censés être les plus avisés en la matière, le feu bâtonnier Dorval a fait des constats qui méritent des corrections juridiques. À part les raisonnements juridiques erronés faits par les juges de la Cour suprême du pays dans cette affaire d’Etat, des erreurs flagrantes eu égard à la date précise de la loi dont les juges avaient prise en référence pour motiver leur arrêt : « Attendu qu’au surplus, aux termes de l’article 1er, alinéa f, de la loi du 12 avril 2002 », sic ; C’est plutôt la loi du 2 juillet 2002) tout Haïtien d’origine jouissant d’une autre nationalité et ses descendants sauf dans les cas expressément interdits par la constitution sont éligibles à la fonction publique ; Que cette loi n’a jamais été déclarée inconstitutionnelle, est d’application ». Face à ce constat alarmant et inquiétant, nous sommes en droit de nous poser la question, de savoir, s’agit-il de la paresse intellectuelle ou d’un refus délibéré de se conformer à la lettre et à l’esprit des constitutions du pays ?
« À cet égard, il est à faire remarquer tout d’abord que la loi citée par la Cour est du 2 juillet 2002, date de son dernier vote par le sénat, et non du 12 avril 2002. Elle est publiée dans Le Moniteur du 12 avril 2002, N0 65. La date d’une loi est celle de son vote et non sa publication qui marque plutôt le point de départ de son entrée en vigueur […] », sic. Nous estimons qu’il est indispensable de faire cette précision, quant à la date mentionnée par l’auteur de l’article. Au lieu d’écrire « Le Moniteur du 12 août 2002 », par mégarde, il a plutôt mentionné « Le Moniteur du 12 avril 2002 ». Le texte auquel ont fait référence les juges de la Cour de cassation pour rendre l’arrêt en question est celle « portant privilèges accordés aux Haïtiens d’origine jouissant d’une autre nationalité et à leurs descendants, du 2 juillet 2002, Moniteur N0 65, du lundi 12 août 2002 ». Voilà les raisons fondamentales qui nous ont poussé à écrire cet article qui, sans la moindre prétention, doit attirer l’attention de tout un chacun sur la nécessité de tenir compte de la date précise de l’adoption des textes normatifs dans la législation du pays. La règle de droit dans ce cas est celle prescrite par la constitution. La date d’adoption des textes normatifs, est claire, précise et sans équivoque. Elle n’est pas laissée aux caprices des particuliers, qu’il s’agisse des experts en droit, qu’il s’agisse de simples citoyens.
Comme nous venons de le mentionner plus haut, lorsqu’il est question de décret pris en Conseil des ministres, deux dates sont à considérer. Il s’agit de celle de l’adoption et de celle de la publication dans le Journal officiel de la République, Le Moniteur. S’il ne fait aucun doute que le décret du 17 mai 2005 est la date d’adoption du décret portant révision du statut général de la Fonction publique, il est de bon ton que personne ne fait référence à la date de sa publication, c’est-à-dire à la date du 22 juillet 2005, 160eme année, Moniteur spécial N0 7, pour donner naissance à ce décret. C’est le même cas de figure pour le décret du 8 septembre 2004 portant création de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC). Aucune référence à la date de publication de ce texte, c’est-à-dire au lundi 13 septembre 2005, 159eme année, Moniteur N0 61, date où ce texte est devenu obligatoire, imposable à tous et à chacun. Pourtant, il est doublement étonnant de constater que la date du 3 mai 2023 est considérée par plus d’un comme la date d’adoption du décret sanctionnant le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme et le financement de la prolifération des armes de destruction massive en Haïti.
En effet, nous tenons à apporter ce double éclairage vis-à-vis de ce décret. D’abord, nulle part, il n’est fait mention de la date du 3 mai 2023 dans le décret en question, mais celle du jeudi 4 mai 2023, 178eme année, Moniteur spécial N0 12, comme date de publication. Ensuite, si pour les deux autres décrets cités plus haut, la date d’adoption ne pose pas de problème, pourquoi alors refuser d’admettre que la date du 30 avril 2023 est la date d’adoption du décret sanctionnant le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme et le financement de la prolifération des armes de destruction massive en Haïti ? C’est donc à bon droit de rappeler à tous et à chacun que la date d’adoption de tout décret est celle prise en Conseil des ministres et non celle de la date de la publication. La date du 3 mai 2023est tout simplement dans la tête des gens, sans comprendre trop pourquoi. Ainsi, nous pensons que la date d’adoption d’un texte est son acte de naissance, alors que celle de la publication est son acte de baptême.
Il est important de signaler que la question sur la problématique de la date d’adoption de la loi, n’est pas seulement académique, mais aussi pratique. Lorsque la date d’adoption est mal indiquée, cela peut causer un problème majeur à deux niveaux : la rétroactivité de la loi et la non-rétroactivité de la loi. Entre le 26 juillet et le 29 juillet, il y a un espace de trois (3) jours qui est crucial et d’une importance fondamentale. Imaginons un instant qu’une loi de procédure qui, d’ailleurs, est d’ordre public, est prise le 27 ou le 28 juillet 1979, donc entre le premier vote et le deuxième vote de la loi sur l’appel pénal. L’on admet qu’une telle loi pourrait être, soit plus douce, soit plus sévère par rapport à la loi abrogée. Dans l’un ou dans l’autre cas, cela aurait des conséquences avantageuses ou désastreuses si la date de la loi abrogée était mal indiquée, surtout en ce qui concerne le sort de l’accusé.
Dans l’ouvrage titré « La Cour de cassation dans tous ses états… », sous la direction de Camille FIEVRE, une autre anomalie juridique est mentionnée. Il est mentionné : « Dans la pratique, les juristes utilisent « deux codes d’instruction criminelle », qui sont, en réalité, des compilations réalisées par des particuliers. Nous avons le « code d’instruction criminelle Jean VANDAL » et le « code d’instruction criminelle Menan PIERRE-LOUIS », contenant des divergences de numérotation entre eux. Il aurait été judicieux que le législateur, ou éventuellement la Cour de cassation, intervienne sur ces divergences relatives aux numérotations des articles du code d’instruction criminelle […] ». Là encore, il s’agit d’une anomalie très grave dans la pratique du droit en Haïti qui nécessite aussi l’intervention du législateur. Ce problème de numérotation existe bel et bien également dans les codes de procédure civile, annotés par des auteurs différents. Une telle situation tend à compliquer davantage le travail des professionnels du droit, les juges dans leurs fonctions et les avocats dans l’exercice de leur profession.
Conclusion
Il est inconcevable que les professionnels du droit, les premiers défenseurs de la loi, n’arrivent pas à s’entendre sur la date d’adoption des textes normatifs qu’ils sont appelés à évoquer par devant les cours et tribunaux de la République. Il est clair qu’il s’agit d’un imbroglio juridique, dans la mesure où un texte normatif a une date d’adoption, une date de promulgation et une date de publication. L’une ne saurait être remplacée par l’autre. Ainsi, le législateur, dans toute l’histoire des deux siècles de constitutions haïtiennes, prend le soin de prescrire la date d’adoption de la loi. À part les constitutions de 1849 et de 1874 qui ont considéré la date de promulgation de la loi comme date d’adoption, toutes les autres constitutions du pays, depuis l’Indépendance jusqu’à aujourd’hui, précisent que la loi prend date du jour de son adoption définitive par les deux chambres. Il n’est donc pas laissé aux caprices des uns et des autres de déterminer, comme bon leur semble, la date d’adoption de la loi.
Ainsi, nous estimons qu’il est utile, face à ce constat, juridiquement alarmant, sur la problématique de la date d’adoption des textes normatifs en Haïti, de rédiger cet article qui doit sensibiliser les uns et les autres, chacun en ce qui le concerne, sur la nécessité de se conformer aux prescrits de la constitution. Si même les initiés en droit, notamment les juges et les avocats divergent sur la date d’adoption des textes normatifs dans le pays, au lieu d’être superflu, un tel article a toute sa raison d’être. En effet, même à la Cour de cassation qui est la Cour régulatrice du système judiciaire, le problème existe. Pourtant, depuis notre Indépendance, soit 220 ans déjà, dans nos constitutions, la date d’adoption des textes normatifs n’est jamais laissée au hasard, à l’interprétation des uns et des autres. De même, le problème soulevé dans la numérotation dans les codes d’instruction criminelle et de procédure civile, entre autres, mérite d’être réglé une fois pour toutes, pour éviter toute confusion désagréable.
Pour répondre à la question de départ, la loi du 29 juillet 1979 sur l’appel pénal doit faire l’unanimité par devant les cours et tribunaux, car le 26 juillet est la date du premier vote qui, dans aucune constitution du pays, n’a jamais été la date d’adoption de la loi. Votée le 26 juillet par la première chambre, adoptée le 29 juillet par le vote définitif de la deuxième chambre, la loi sur l’appel pénal, est publiée dans le journal Le Moniteur, N0 65 du 16 août 1979, conformément aux dispositions de l’article 84 de la constitution de 1971.
Jean Barnave CHERON, avocat, conseiller de l’ordre au barreau de Port-au-Prince, jeanbarnavcheron@gmail.com