« La notion d’agent public au sens de l’article 4, alinéa 2, de la loi portant prévention et répression de la corruption du 12 mars 2014 »

Date:

« La notion d’agent public au sens de l’article 4, alinéa 2, de la loi portant prévention et répression de la corruption du 12 mars 2014 »

Daniel JEAN, Juriste, Chargé de cours aux universités

11 janvier 2024

La lutte contre la corruption, dans son aspect répressif, implique des dispositions juridiques claires et adaptées qui renvoient à des structures de mise en œuvre chargées de produire des rapports d’enquête aux fins d’instructions approfondies et de décisions judiciaires. Existe-t-il une distinction entre les statuts de fonctionnaire et d’agent public ? Si oui, quel serait son impact sur la législation anti-corruption haïtienne ?

La question qui porte sur le statut des personnes physiques passibles de cette démarche répressive et correctrice – qui peuvent donc être mises sous enquête de corruption par des organes de contrôle de l’État et la Justice pénale – soulève une préoccupation de l’ordre de la terminologie juridique, que la loi portant prévention et répression de la corruption du 12 mars 2014 ne manque pas d’aborder avec clarté et netteté, en son article 4, les alinéas 2 ; nous citons : « Agent public : toute personne qui détient un mandat législatif, exécutif, administratif ou judiciaire, qu’elle ait été nommée ou élue, à titre permanent ou temporaire, qu’elle soit rémunérée ou non rémunérée et quel que soit son niveau hiérarchique ».

La finalité de l’article est donc d’étendre la portée de la loi vers certaines catégories de travailleurs de l’État qui, de prime à bord, se croiraient ne pas être concernés par la présente loi puisqu’ils ne seraient pas des fonctionnaires à proprement parler. L’article 4, alinéa 2, de la loi du 12 mars 2014 portant prévention et répression de la corruption nous met face à un horizon juridique large et varié quand il aborde la notion d’agent public dans toutes ses coutures. Une aventure interdisciplinaire allant des sciences de l’administration à celles du droit, le droit public notamment. Cette délimitation nous évitera de sombrer dans les nuances de l’administration privée qui, elle aussi, comporte plusieurs types d’employés ou de contractuels. L’article que nous considérons évite toute confusion de domaine d’application : l’expression « agent public » s’applique exclusivement à celles et ceux qui travaillent pour le compte de l’État haïtien.

Quel est le statut général accordé aux personnes physiques qui travaillent pour l’État haïtien? Et, quels sont les critères pour parler d’agent public au sens de la présente loi ? D’un côté, l’article pose une problématique, à laquelle le Législateur apporte une réponse juridique définitionnelle. Il s’agit du statut général des personnes qui travaillent pour l’État en Haïti. De l’autre côté, l’article entreprend une démarche distinctive, qui invite à fixer les sous-qualifications juridiques en fonction de la situation de la personne qui fournit ses services à l’État ; par exemple : les agents publics rémunérés et les agents publics non-rémunérés. Le travailleur, bien avant d’être un objet sociologique ou statistique, est un objet juridique.

Notre but dans le cadre de ce travail est de démontrer que tout type de travailleur de l’État peut être considéré comme agent public. C’est en ce sens que notre développement s’articulera autour des deux (2) parties suivantes : la première présentera les contextes historique, justificatif et rédactionnel de l’article 4, alinéa 2, de la loi portant prévention et répression de la corruption du 12 mars 2014. Et la deuxième fera une analyse séquentielle de l’article, afin de cerner toute la profondeur de l’esprit du Législateur.

PREMIÈRE PARTIE :
CONTEXTES HISTORIQUE, JUSTIFICATIF ET REDACTIONNEL DE L’ARTICLE 4, ALINEA 2, DE LA LOI PORTANT PREVENTION ET REPRESSION DE LA CORRUPTION DU 12 MARS 2014

  1. Contexte historique
    Si nous voulons remonter le plus antérieurement possible le contexte historique de la rédaction de l’article 4, alinéa 2, de la loi du 12 mars 2014 sur la corruption, nous serions tentés de le fixer à 1823, l’année de la création de l’Institution Supérieure de Contrôle des Finances Publiques (La Chambre des Compte) – aujourd’hui devenue Cour des Comptes et du Contentieux Administratif – sous le gouvernement du Président Jean-Pierre Boyer. En effet, la loi du 26 juin 1823 qui institua la Chambre des Comptes lui assigna la mission de vérifier tous les comptes administratifs indiqués par le Président d’Haïti ou par le Secrétaire d’Etat chargé des finances. Nous pouvons vite comprendre ici que ceux pour qui la Chambre travaillait, c’est-à-dire ceux qui décidaient qui contrôler, n’étaient pas contrôlés eux-mêmes. Ce qui a toujours mis en débat une démarche de stratification des personnes travaillant pour l’État et de leurs statuts. D’où l’intérêt de l’article 4, alinéa 2, de la loi du 12 mars 2014 contre la corruption, qui n’épargne personne.
  2. Contexte justificatif
    En ce qui a trait au contexte justificatif de l’article 4, alinéa 2, de la loi anti-corruption de 2014, il pourrait s’inscrire dans une compréhension de la situation de conflits juridiques de statuts des personnes qui servent l’État à différents niveaux, eu égard à leurs conditions d’embauche. Cette différenciation terminologique majeure implique de connaître les critères déterminants des notions en présence, en l’occurrence : agent public et fonctionnaire. C’est ici la raison d’être de l’article 4, alinéa 2, de la loi anti-corruption de 2014 qui cherche fondamentalement à étendre ses dispositions à toutes personnes qui travaillent pour et au nom de l’État, quelqu’en soit le niveau hiérarchique ou le statut juridique. Dès qu’une personne physique signe un quelconque contrat de travail avec l’État haïtien, elle est sous l’égide de la présente loi. C’est donc en cela que l’article sous étude est indispensable à une compréhension juste des missions des organes de contrôle de l’État et de l’étendue de leurs prérogatives.

2.1. Cadre juridique de l’article 4, alinéa 2, de la loi portant prévention et répression de la corruption du 12 mars 2014
L’initiative du Législateur haïtien de préciser les personnes concernées par la loi anti-corruption de 2014 trouve son encrage dans une perspective à la fois nationale et internationale. Lorsque l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) a entrepris la démarche de consulter plusieurs acteurs sur le texte et propulsé son adoption au Parlement haïtien, c’était en application à des engagements internationaux de l’État haïtien en la matière. Donc, la loi du 12 mars 2014 sur la corruption trouve ses bases dans divers endroits du cadre juridique normatif haïtien, nous pouvons citer, principalement :
▪ les accords ratifiés par la République d’Haïti sur la corruption ;
▪ la Constitution haïtienne amendée en vigueur ;
▪ le Code Pénal haïtien ;
▪ le Décret portant Organisation de l’Administration Centrale de l’Etat.

D’abord, la Convention interaméricaine contre la corruption et la Convention des Nations-Unies contre la corruption, ratifiées par Haïti respectivement en décembre 2000 et en mai 2007, établissaient déjà un cadre théorique et conceptuel de la notion juridique de corruption puisqu’une très riche littérature anti-corruption y est développée dans les notes préambulaires. En ce sens, dans le contexte de l’évolution du droit international de la corruption, l’article 4, alinéa 2, de la loi du 12 mars 2014 portant prévention et répression de la corruption doit, en grande partie, son origine à ces dispositions internationales antérieures à son élaboration dont il tire également l’objet : les agents publics.

Ensuite, constitutionnellement, la loi de 2014 sur la corruption, en son article 4, alinéa 2, peut être qualifiée d’une disposition-fille de la Constitution haïtienne, qui n’a certes pas nommément utilisé la notion de corruption, mais qui en a fait état et a même spécifié, voire régi, certaines de ses manifestations les plus courantes. Les articles 235 à 244 de la Constitution haïtienne amendée insistent sur toute une série d’expressions de la corruption donnant lieu à des infractions diverses, telles : l’abus de biens publics, le népotisme, le détournement de fonds et l’enrichissement illicite. En effet, ces articles de la constitution s’articulent, entre autres, sur :
▪  le respect scrupuleux des normes éthiques définies par la loi ;
▪ les modalités de recrutement et la politique de carrière dans l’administration publique ;
▪ l’obligation faite aux fonctionnaires et autres agents publics indiqués par la loi de déclarer l’état de leur patrimoine au Greffe du Tribunal Civil dans les trente (30) jours qui suivent leur entrée en fonction ;
▪ les sanctions prévues contre tout fonctionnaire reconnu coupable de fraude contre le fisc et d’enrichissement illicite  ;
▪ Ect.

Encore, concernant la loi pénale, il va sans dire que la loi portant prévention et répression de la corruption du 12 mars 2014 détient un embranchement historique dans la loi pénale haïtienne qui a établit certaines infractions de corruption, leurs régimes et leurs peines. Soit, les dispositions de la loi anti-corruption en question abrogent toutes celles qui lui sont contraires. Le Code Pénal haïtien (CP) dispose à la fois pour le corrupteur et pour le corrompu. La corruption active et la corruption passive. Le CP établit des infractions de corruption, telles que :
▪ les articles 107 à 114 : le faux et l’usage de faux ;
▪ les articles 130 à 134 : le détournement de fonds ;
▪ les articles 127 à 129 : des délits commis par les fonctionnaires dans l’exercice de leur fonction ;
▪ l’article 135 : la conçussion de fonctionnaires ;
▪ l’article 136 : les conflits d’intérêts ;
▪ les articles 146 à 152 : l’abus d’autorité ;
▪ Etc.

Enfin, le Décret portant Organisation de l’Administration Centrale de l’Etat du 17 mai 2005 stipule que l’Administration Publique Nationale est l’instrument par lequel l’État concrétise ses missions et objectifs. Pour garantir sa bonne marche, elle doit être structurée de manière à être gérée avec honnêteté et efficacité. Le texte fixe les statuts d’agent public et de fonctionnaire qui jouent des rôles importants dans la structure organisationnelle de l’Administration Centrale de l’État. Ainsi, la loi du 12 mars 2014 trouve-t-elle déjà une structure complète d’organisation de l’État qu’elle se donne pour objectif de moraliser. En particulier, l’article 4, alinéa 2, qui définit avec intelligibilité la notion d’agent public et, dans le prochain alinéa, l’article précise aussi ce que le Législateur entend par fonctionnaire. Ces termes ont été également employés dans le Décret du 17 mai 2005.

  1. Contexte rédactionnel
    Pour son contexte rédactionnel, la disposition du 12 mars 2014 sur la corruption est une loi issue du Parlement haïtien, contenant 26 articles, dont l’adoption définitive par les deux (2) Chambres a eu lieu le mercredi 12 mars 2014 sous la présidence du Député Jacques Stevenson THIMOLÉON, alors que son vote au niveau du Sénat de la République a été réalisé antérieurement, le 10 mai 2013, sous la présidence du Sénateur Simon Dieuseul DERAS. Elle a été promulguée le 7 mai 2014, par le Président de la République, monsieur Michel Joseph MARTELLY et publiée dans le journal officiel le Moniteur le 9 mai 2014.

L’article 4, alinéa 2, provient du chapitre 2, définition et typologie, de la loi du 12 mars 2014. Cette loi est la première initiative législative orientée exclusivement vers les infractions de corruption dans la législation haïtienne et qui encadre le phénomène de la corruption de manière systémique, qualifie l’ensemble des faits y relatifs, prévoit les personnes concernées, fixe la responsabilité de l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) dans la démarche étatique de lutte contre la corruption et établit des régimes de sanctions.

Ainsi, la prochaine partie sera consacrée à l’analyse séparée de chaque élément de l’article 4, alinéa 2, de la loi anti-corruption du 12 mars 2014, dans l’objectif de puiser tout ce que le Législateur a voulu exprimer par le choix de chaque vocabulaire. Une analyse de la lettre pour mieux saisir l’esprit.

DEUXIEME PARTIE :
DÉCOMPOSITION DE L’ARTICLE 4, ALINÉA 2, DE LA LOI ANTI-CORRUPTION DU 12 MARS 2014

Pour une analyse explicative et séquentielle des éléments constitutifs de l’article 4, alinéa 2, de la loi du 12 mars 2014 portant prévention et répression de la corruption, il convient de considérer le régime qu’il institue quant aux éléments qu’il met en présence ou qu’il écarte en définissant la notion d’agent public : « Agent public : toute personne qui détient un mandat législatif, exécutif, administratif ou judiciaire, qu’elle ait été nommée ou élue, à titre permanent ou temporaire, qu’elle soit rémunérée ou non rémunérée et quel que soit son niveau hiérarchique ». Nous allons présenter ledit article, en son alinéa 2, en douze (12) parties : agent public étant le terme à définir, suivi de deux (2) points (:) :

  1. toute personne : au sens courant, le terme personne traduit un être humain vivant. Mais alors, qu’est-ce que le Législateur entend par « personne » ici ? Nous savons qu’en matière juridique il existe deux (2) types de personnes : personne physique et personne morale. À l’évidence, le Législateur se réfère à la notion de personne physique. Comment l’expliquer ? Certes, il n’y pas assez d’éléments concrets à l’intérieur de l’alinéa 2 de l’article 4 qui justifieraient cette thèse. Mais, c’est en se référant à l’article précédent de la même loi, l’article 3, première ligne, qu’on comprend sans ambiguïté qu’il s’agit de personne physique : « La corruption s’entend de tout abus ou de toute utilisation faite à son profit ou pour autrui, de sa fonction ou de son occupation par les personnes visées à l’article 2 de la présente Loi au détriment de l’État, d’un organisme autonome, d’une institution indépendante, d’une collectivité territoriale, d’une organisation non gouvernementale ou d’une fondation bénéficiant d’une subvention publique, d’une entreprise privée avec participation de l’État ».

L’expression « autrui » n’est logiquement et grammaticalement utilisée que pour des personnes physiques. Donc, « toute » plus « personne » utilisés par le Législateur supposent une généralité. Il n’entend pas faire d’exception au départ quant aux concernés par les présentes dispositions.

  1. qui détient : « qui », pronom relatif, tient la fonction de représentation de la personne indiquée au départ par le Législateur, par une relation de dépendance. En quoi la personne en question est-elle liée à l’État ? La réponse est dans le prochain vocabulaire : « Détenir », qui renvoie, grammaticalement, au fait d’avoir et, juridiquement, à la notion de preuve. En Droit, on doit pouvoir prouver ce qu’on a ou ce qu’on dit avoir. La preuve matérialise les prétentions. Mais, précisément, dans l’esprit de l’article, il renvoie à un contexte de « formalité administrative ». « Détenir », dans le raisonnement du Législateur voudrait dire « avoir quelque chose qui lie la personne à l’État » : une certaine forme de contrat, un mandat, que l’article va préciser en continuant à donner forme à la notion d’agent public.
  2. un : dans un premier temps, nous savons que « un » est un déterminant indéfini d’un groupe nominal dont il indique le genre et le nombre. Cet article indéfini choisi par le Législateur n’est pas anodin : il entrevoit que ce qui va lier la personne à l’État peut être de diverses natures, en qualité. Dans un second temps, la notion de quantité fait surface : pourquoi pas « plusieurs » ou « un ou plusieurs » ? Non ! Le Législateur a bien précisé « un ». Il n’a pas laissé d’ouverture pour l’existence de plusieurs contrats de service entre un agent public et l’État durant la même période et selon les mêmes termes.
  3. mandat : acte par lequel une personne (mandant) donne à une autre (mandataire) le pouvoir d’exécuter des tâches en son nom en assumant, par là-même, les conséquences généralement quelconque. Le terme mandat détient un sens précis en Droit, que le Législateur utilise pour donner forme à ses pensées : un document autorisant une représentation, par lequel on agit indirectement. Il y a donc un mandant, l’État haïtien ou le peuple haïtien dans le cas des postes électifs et l’agent public qui, lui, devient le mandataire. Donc, pour parler d’agent public, il faut nécessairement, sous une forme ou sous une autre, l’existence d’un mandat, acte par lequel la personne physique est habilitée à agir au nom de l’État haïtien. Le présent article, en son deuxième alinéa énumère quatre (4) types de mandats.
  4. législatif : il s’agit d’un adjectif susceptible d’accompagner le substantif « mandat » avec lequel il s’accorde en genre et en nombre. La notion renvoie à l’Assemblée des Députés et des Sénateurs qui constituent, selon la Constitution, le Pouvoir Législatif. Ces parlementaires sont élus au suffrage universel direct. Donc, ils reçoivent un mandat législatif de la population qui les confie au pouvoir par la voie des urnes. Aussi, toute personne à qui l’une des deux (2) Chambres aura délégué des prérogatives par vote ou par simple délégation de compétences d’une commission législative. Donc, les membres du corps législatif sont des agents publics et donc passibles des dispositions de la présente loi, selon les caractéristiques spécifiques qu’impliquent leurs fonctions. C’est le premier des quatre (4) types de mandats.
  5. executif : l’exécutif est l’organe étatique chargé de la mise en œuvre par excellence. Par ce deuxième type de mandat, le Législateur fait référence au Président de la République et les membres du Gouvernement. Le Pouvoir Exécutif est chargé de l’harmonisation et de l’efficacité de l’État au profit des administrés. Pour exercer cette noble fonction, on doit avoir été choisi par le peuple, qui est le seul détenteur, par suffrage universel direct, de ce pouvoir exécutif substantiel. De sorte que celle ou celui qui accède à la magistrature Suprême ait reçu un mandat populaire pour travailler dans l’intérêt du plus grand nombre. De la légitimité politique. Également, le premier élu de la République peut, selon le système politique préconisé par la Constitution, partager ses compétences avec d’autres personnes par mandat exécutif, comme le prévoit le présent article. Pour ainsi dire, le premier agent public est le Président de la République lui-même, qui, quoique considéré comme mineur politiquement, n’est quand-même pas au-dessus des lois, en conformité à des dispositions qui tiennent compte de son statut de Chef de l’État.
  6. administratif : les mandats administratifs concernent celles et ceux que l’État engage pour l’accomplissement des tâches bien définies en son nom. Ces types d’engagements sont généralement visés par une institution étatique de contrôle, en l’occurrence la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA), notamment. L’essentiel, dans ce troisième type de mandat, c’est que le travailleur de l’État est lié par un mandat contractuel ou nominatif qui l’autorise à agir au nom de la République. Les hauts cadres de l’État sont aussi liés par la notion de mandat administratif.
  7. ou judiciaire : « ou » est une conjonction de coordination qui relie deux (2) mots ou deux (2) groupes de mots pour indiquer un choix. Le Législateur y a recours ici pour marquer la fin de son énumération. « Judiciaire »: selon la Constitution haïtienne, les autorités de Justice constituent le Pouvoir judiciaire dans l’organisation de l’État, au côté des Pouvoirs Législatif et Exécutif. Pour y accéder, il faut être mandaté par le pouvoir exécutif, de concert avec le pouvoir législatif dans certains cas. Donc, un Magistrat, assis ou debout est un agent public. Dans le cadre d’une instruction judiciaire, l’autorité de poursuite peut, par mandat judiciaire, déléguer ses compétences à un tiers.
  8. qu’elle ait été nommée ou élue : « qu’elle », mis pour personne physique. « Nommée ou élue » : le Législateur généralise et étend les effets de la loi aux deux (2) catégories d’agents publics qu’il distingue :
    ▪ les agents publics élus ;
    ▪ les agents publics nommés.

La manière d’obtenir le droit de servir l’État, à cette phase, n’est pas la priorité du Législateur, mais il est plutôt dans le fait d’être éligible et lié par un mandat de service, que ce soit par nomination ou par élection. En effet, étymologiquement, les liens entre les deux (2) termes sont très étroits : la nomination et l’élection administratives appellent toutes à une prise de fonctions. La nomination vient du latin « nominatio », appellation, nomination. Élection, dérivé de « nominare », nommer, désigner pour une fonction. Donc, le Législateur vise l’action de nommer quelqu’un ou le fait d’être nommé par une autorité à une fonction, un emploi, une charge. Ou encore, le fait d’être élevé à une dignité par la voix des urnes.

  1. à titre permanent ou temporaire : encore, le Législateur ne laisse aucun ombre dans ses pensées. Il y a des agents publics à plein temps et ceux à temps partiel. Les agents qui travaillent dans l’administration publique nationale peuvent être fonctionnaires (titulaires) ou agents contractuels (non titulaires). Il y a bien de différences de procédures dans les recrutements et les règles applicables aux agents contractuels, dits temporaires, en comparaison à ceux qui sont nommés, dits permanents. Ce qui importe dans ce raisonnement, c’est l’accession de la personne au service préposé, au nom de l’État. Le caractère permanent ou temporaire du travail importe peu pour le Législateur quand il doit définir qui est agent public.
  2. qu’elle soit rémunérée ou non rémunérée : en règle général, les travailleurs de l’État sont rémunérés. Néanmoins, il y a des cas exceptionnels où des personnes qui travaillent pour le compte de l’État et qui ne sont pas rémunérées à proprement parler : elles peuvent recevoir des frais de fonction, de fonctionnement, des primes ou d’autres avantages que leur confèrent leurs responsabilités. Par exemple, les membres des Conseils d’Administration de l’Office d’Assurance Accident du Travail, de Maladie et de Maternité (OFATMA), de l’Office National d’Assurance-Vieillesse (ONA), du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ). Ils n’ont pas de salaire en tant que membres desdits Conseils. Ils ne sont pas rémunérés, au sens classique du terme. Dans la plupart des cas, certains ont déjà une haute fonction dans l’Administration publique pour laquelle ils sont vraiment rémunérés. Notons qu’il existe des cas où les membres de ces Conseils viennent directement du secteur privé des affaires (le cas du Conseil Supérieur des Salaires) ou de la société civile (le cas du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire).

Les membres du Haut Conseil de Transition (HCT), dans le contexte politique et juridique actuel, ne sont pas formellement rémunérés. Ce sont, selon l’arrêté du 17 janvier 2023 qui porte leur nomination, des personnes qui viennent en aide à l’État à un moment de déchéance et de « vide constitutionnel ». Si une structure ad hoc de négociation se met en place pour aider à l’évacuation d’un ou de plusieurs conflits étatiques, ses membres ne seront sûrement pas rémunérés. Mais, pourvu qu’ils soient nommés et munis d’un mandat, ils sont, à juste titre, des agents publics. Donc la rémunération n’est nullement un critère discriminant pour le Législateur qui définit le plus exhaustivement possible la notion d’agent public.

  1. et quel que soit son niveau hiérarchique : la conjonction de coordination « et » sert ici à lier les mots, les syntagmes, les propositions ayant même fonction ou même rôle et à exprimer une addition, une liaison. Elle relie les parties de l’article qui sont de même nature et marque la fin des énumérations et des différenciations. Ce dernier extrait éclaircit l’esprit du Législateur qui ne tient pas compte du « niveau hiérarchique » comme critère d’exception. Quels que soient les rang, grade, titre et qualité dans l’Administration publique nationale. Que la personne se trouve au sommet de la hiérarchie de l’État ou, à l’inverse, au plus bas de l’échelle, cela revient au même pour le Législateur qui voit en elle un agent public placé sous l’égide de cette loi anti-corruption du 12 mars 2014 portant prévention et répression de la corruption, en son article 4, alinéa 2.

À l’issue de cette analyse de l’alinéa 2 du présent article, nous nous sommes trouvés face à l’évidence suivante : là où il y a service public, il y a aussi agent public et que la présente loi s’impose en omniprésente dans tous les aspects constitutifs de l’État. En d’autres termes, cette partie de la loi en question étend les compétences des organes de contrôle de l’État qui œuvrent dans la lutte contre la corruption, dont premièrement l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC), sur toute l’administration publique nationale, sans distinction de statuts des membres.

Conclusion
Telle est une démonstration retraçant les contextes historique, justement et rédactionnel de la loi anti-corruption du 12 mars 2014, une décomposition de son article 4, alinéa 2, marquée d’un plaidoyer anti-corruption auprès d’une catégorie premièrement exposée, en l’occurrence, les agents publics. La clarification de cette expression juridique revêt d’une importance capitale. En effet, on doit savoir que le statut d’agent public est comme une épée à double tranchant :
▪ la dignité et l’honneur que confèrent ses fonctions, les avantages de tout genre auxquels on a droit ;
▪ la reddition de comptes et la poursuite pénale auxquelles on est exposées à tout moment de la durée de l’exercice de ses fonctions et même longtemps après la fin de ses services publics.

Fort de ce qui précède, nous noterons que tout fonctionnaire est agent public, mais tout agent public n’est pas fonctionnaire. Dans une perspective de précision législative, le Législateur a cru bon de présenter la notion d’agent public avec une caractéristique fondamentale : fournir un service public, à titre temporaire ou permanent. Cette expression globalisante semble mettre fin à un débat ayant soulevé une préoccupation : qui dans l’Administration publique nationale ne serait pas, par son rang, assujéti aux termes de la présente loi ? Cette analyse a ambitionné démontrer l’hypothèse de départ selon laquelle personne ayant touché à la chose publique n’est exempt des dispositions de la loi anti-corruption de 2014, chacun avec les particularités que méritent son cas et selon les procédures définies par les autres normes de la législation haïtienne en matière de poursuite judiciaire.

Enfin, en considérant les quatre (4) types de mandats indiqués par le Législateur à l’article que nous venons d’étudier et le fait par la Constitution de irresponsabiliser le Président de la République dans sa gestion pendant l’exercice de ses fonctions, ne serait-ce pas opportun de questionner la procédure tracée par la loi pour mettre le Chef de l’État sous enquête et le poursuivre, tenant compte du fait que la corruption, à elle seule, n’est juridiquement pas un crime de Haute trahison ? Sachant aussi que la femme de César doit rester au-dessus de toute soupçon.

BIBLIOGRAPHIE
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MÉMOIRES ET THÈSES
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ARTICLES
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BECET Jean-Marie, « Démocratie locale, transparence : nouveaux aspects », in cahiers du CNFPT, 1995/44, pp 30-41., consulté le 6 octobre 2023.
BECQUART-LECLERCQ Jeanne, « paradoxes de la corruption politique » in revue Pouvoirs « La corruption », PUF, 1984, n°31.
BERNARD Georges, « Economie et morale », in Les Petites Affiches, 1994/153, pp 4-7., consulté le 15 octobre 2023.

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