Le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire haïtien, dans l’arbitraire et l’illégalité
Le conseil supérieur du pouvoir judiciaire doit accorder son violon
Par
Dr Todt ROYER
Le violon du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire résonne une musique qui ne s’accorde pas. C’est la cacophonie sur toute la ligne et ces mauvais sons claquent et éclatent les tympans des autres instrumentistes de la famille, les danseurs s’arrêtent et la fête est renvoyée….
A chaque essai, les convives quittent la salle et le violoniste reste seul à se regarder et à se dire qu’est-ce que je fais comme ça ? mais continue de pousser son mauvais son ;
Une allégorie pour exprimer l’état de fonctionnement de cette institution et les décisions prises par rapport aux séances de certification ;
La certification, nous l’avons déjà dit, est une bonne chose, elle est faite pour épurer le système qui est trop corrompu et puant. Elle doit, cependant être faite selon les prescrits de la loi et avec science ;
Nous accusons le pouvoir judiciaire d’avoir échoué car le niveau de vie de la population haïtienne, la qualité de nos représentants au Parlement, à la tête du pouvoir exécutif et même dans le judiciaire, montre comment le pouvoir judiciaire a échoué, car c’est ce pouvoir qui a les prérogatives de contrôler l’entrée des acteurs dans les deux autres pouvoirs et en son sein. Si nous sommes arrivés à avoir des députés, sénateurs et présidents racketteurs, voleurs, dilapidateurs et criminels à notre parlement et au pouvoir exécutif, c’est que le pouvoir judiciaire les avait déclarés de bonnes vies et mœurs et ce sont ces dirigeants délinquants qui jettent le pays dans ce chaos ou il se trouve……avec quels yeux les juges les regardaient pour les voir de bonnes vies et mœurs ? pourra-t-il s’en sortir pour rendre justice à la population assoiffée de justice et de justice sociale ?
Le nouvel expert indépendant pour les droits de l’homme, nommé récemment sur le cas d’Haïti par l’organisation des Nations Unies, William O’Neill, a déclaré que la justice Haïtienne est nulle et inexistante parce que plus de 80% des personnes détenues en prison ne sont pas jugées et même pour des larcins, des citoyens restent en prison pour plus de sept ans, alors, quel est le rôle du pouvoir judiciaire dans le pays?
La première grande vague de certification des magistrats faite par le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) de janvier 2023 a fait couler beaucoup d’encre ; plus d’une dizaine d’organisations des droits humains et des personnalités faisant autorité dans le secteur de la justice défiaient cette certification et relevaient des irrégularités et la maladresse des méthodes utilisées pour y arriver ; il y avait aussi des malentendus entre des conseillers sur la non-certification de certains juges qui ne seraient pas corrompus et qui ont été traités de corrompus, ce qui soulevait toutes les plumes du dos de certains, car, disent-ils, il y a trop de juges corrompus et malhonnêtes à épingler pour ne pas certifier des juges qui entre autre ont un certain respect et une certaine moralité pour faire avancer la justice en rendant des décisions équitables ; dans cette certification, un conseiller important au CSPJ avait traité l’institution de criminel pour n’avoir pas certifié un juge bien connu de la juridiction de la Croix-des-Bouquets mais malgré cette déclaration, ce même conseiller a signé au bas de la liste des magistrats non-certifiés qui comportait aussi le nom de son ami dont il avait dit avoir été victime d’un crime de la part du CSPJ et plus tard, le scenario continue, ce fameux conseiller remontait au créneau pour présenter ses excuses au CSPJ ; si ces conseillers du CSPJ étaient acteurs de cinéma, ils seraient plus utiles à la nation ;
Suite à cette certification, nous avons vu, en date du 23 février 2023, une circulaire émanée du secrétaire technique du CSPJ, Jean Robert Constant, qui ordonne aux chef de juridiction d’ordonner à la police de saisir les véhicules se trouvant en possession des juges non certifiés, ce qui était une scandale car le CSPJ en tant qu’organe qui décide ne peut être non plus à la fois celui qui exécute. En aucun cas le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire ne peut exécuter une décision que lui-même il a prise, c’est du désordre, c’est du chaos, il reviendrait plutôt au ministre de la justice d’exécuter ou de veiller comme dit le texte à l’exécution des décisions du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) en application de l’article 67 de la loi du 27 novembre 2007 qui prescrit : « « « « « Le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire exerce le pouvoir disciplinaire sur les Juges dans les conditions prévues par la loi. Le Ministre de la Justice et de la Sécurité Publique veille à l’exécution de ces décisions » » » » » » cet article insinue que l’organe exécutif du CSPJ est le ministère de la justice et en clair, si le CSPJ est un Tribunal qui rend des décisions, le MJSP en est le Parquet qui les exécute ;
De plus, pendant que le CSPJ, à travers le Secrétaire Technique avait ordonné la saisie des véhicules des mains des Magistrats non certifiés, il y en a qui faisaient recours, ce qui explique que l’institution qui condamne ses Magistrats ne leur reconnait pas le droit de recours ;
On ne peut parler d’exécution provisoire, puisque dans ces deux lois spéciales il n’y a pas de dérogation aux procédures générales d’exécution provisoire édictées dans le code de procédure civile haïtien ;
Deux lois délibèrent sur cette question :
1-la loi du 13 novembre 2007 créant le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ)
2-la loi du 27 novembre 2007 portant statut de la Magistrature
A- La loi du 13 novembre 2007 prescrit en son article 31 que « Les décisions du Conseil Supérieur du pouvoir Judiciaire sont susceptibles d’un recours par devant le conseil siégeant avec la totalité de ses membres » . La certification faite par le CSPJ en est une aussi.
B- L’article 61 de la loi du 27 novembre 2007 prescrit que : « Tout Juge ou Officier du Ministère Public peut contester l’évaluation de son activité professionnelle par la voie d’une note écrite, qui sera jointe à son dossier administratif »
La loi qui crée l’institution reconnait que les décisions prises par le CSPJ sont susceptibles de recours et celle portant statut de la Magistrature reconnait aux juges et aux représentants du ministère public le droit de contestation d’une évaluation ;
Dans un mémorandum daté du 20 novembre 2014, signé par l’ex président décédé du CSPJ, Joseph Anel Alexis, sur la certification, le douzième et dernier point dit et je cite : « Le Magistrat mécontent de la décision du CSPJ dispose d’un droit de recours par devant celui-ci » ce mémorandum a été adopté par la deuxième judicature sur la certification, en application de l’article 31 de la loi du 13 novembre 2007 ;
Alors que,
La quatrième judicature qui exerce la certification de janvier 2023 qui a fait couler de l’encre dans la ville a délibérément adopté un autre mémorandum, daté du 1er Juin 2023, qui dans son deuxième alinéa dit clairement qu’il n’existe aucune voie de recours en matière de certification et le cinquième alinéa de ce fameux mémorandum qui néantise celui de Me Anel Alexis Joseph, ils ont clairement dit que « la non-certification d’un magistrat, en référence aux prescrits de l’article 69 de la loi du 27 novembre 2007 portant statut de la magistrature entraine ipso facto la fin de son mandat » . L’application de l’article 69 susdit ne s’oppose pas à l’exercice des voies de recours édicté dans l’article 31 de la loi créant le CSPJ.
Il faut noter aussi que le même jour du 1er juin 2023, l’unité de communication du CSPJ a rendu public un communiqué de presse faisant croire au grand public que le CSPJ a fait des recherches dans les registres à ce destinés et n’a trouvé aucun mémorandum daté du 20 novembre 2014, traitant de la certification, alors que ce susdit mémorandum circule à grande vitesse partout sur les réseaux sociaux, vole les mers et visite tous les continents de la planète terre avec la signature du président d’alors, quelle abracadabrante contradiction ;
Par ailleurs,
L’ article 177 de la constitution haïtienne de 1987 prescrit noir sur blanc que :« Les juges de la Cour de Cassation, ceux des Cours d’Appel et des tribunaux de première instance sont inamovibles. Ils ne peuvent être destitués que pour forfaiture légalement prononcée ou suspendus qu’à la suite d’une inculpation. Ils ne peuvent être l’objet d’affectation nouvelle, sans leur consentement, même en cas de promotion. Il ne peut être mis fin à leur service durant leur mandat qu’en cas d’incapacité physique ou mentale permanente dûment constatée ».
Le décret du 22 aout 1995, toujours d’application, prescrit en ses articles 17 et 18 ce qui suit :
Article 17.- Le juge contre qui, en matière pénale, la contrainte par corps a été ordonnée par un jugement passé en force de chose jugée, est considéré comme démissionnaire.
Article 18.- Est destitué de plein droit le juge condamné à une peine afflictive ou infamante en vertu d’une décision passée en force de chose jugée.
Selon ces susdits articles, aucun juge ne peut être destitué ni forcé à la démission s’il n’est condamné à une peine afflictive et infamante, passée en force de chose jugée ; Il faut dire aussi que la certification est une procédure disciplinaire et le fait pour un juge de ne pas être certifie est une mesure disciplinaire qui est clairement traité par l’article 34 de la loi du 13 novembre 2007 ;
Qui pis est, la certification a posteriori des magistrats, telle que la CSPJ le fait, éjecte automatiquement le magistrat du système alors qu’en plus, l’article 18 du décret du 22 aout 1995 dit clairement que le juge, ne peut être destitué que s’il est condamné à une peine afflictive et infamante, donc que s’il commet un crime de droit commun ou s’il est condamné pour forfaiture selon l’article 29 de la loi du13 novembre 2007;
De plus,
Comment des Magistrats siégeant au Conseil Supérieur du pouvoir Judiciaire (CSPJ) se laissent ils emportés par le pouvoir pour bafouer à ce niveau le droit de la défense. Ils savent tous que le droit de la défense est sacré et ils oublient aussi le sacré principe de l’égalité des armes qui est une garantie juridictionnelle pour une justice saine et équitable ;
Le Magistrat Wando Saint-Villier a écrit un livre intitulé LE DROIT A UN PROCES EQUITABLE dans lequel il parle du droit de la défense, alors que siégé au CSPJ il ne laisse aucun droit à la défense des Magistrats qu’il ne certifie pas ;
Le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire doit se ressaisir, surtout accorder son violon et désormais doit faire de tout son mieux pour éviter ces critiques qui ne font pas honneur à ces honorables conseillers, puisque chaque fois que cette structure, CSPJ, organe régulateur du pouvoir judiciaire, essaie de faire son travail, il le fait mal et la majorité des voix autorisées se lèvent contre lui, alors au lieu de bannir le droit de recours aux magistrats non certifiés, le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire doit de préférence formaliser et normaliser la certification. IL doit d’abord, puisque la loi du 13 novembre 2007 ni celle du 27 novembre de la même année, ne le prescrit pas, établir un cadre légal processuel pour la certification ; Le CSPJ a travers la CTC, doit aussi argumenter les décisions qu’il a prises contre un Magistrat , comme l’a prescrit l’article 35 de la loi créant le CSPJ et y consigner le droit de recours dont la procédure sera tracée;
Car, outre les multiples critiques des organisations de droits humains de la certification de Janvier 2023, il y a de nombreux critiques qui retournent et regardent avec des yeux rébarbatifs la dernière certification du CSPJ et les décisions de celui-ci de ne pas accorder recours aux magistrats non certifies :
1- Dans un tweet rendu public par l’OCNH, il y a cinq jours, l’organisation salue la décision rendue par la CSC/CA dans l’affaire opposant l’ex-juge de paix Gertin André au CSPJ, elle saisit l’occasion pour encourager la Cour à se prononcer sur les recours des Magistrats non certifiés ;
2- Dans un tweet aussi, rendu public par la structure journalistique BATBRAVOPOULAJENES, il y a environ six jours, le responsable de cette organisation parle de la certification du juge Berge O. Surpris, qui menait l’enquête sur un bateau de sucre et drogue et dit que c’est une honte pour le CSPJ qui devient une organisation politique ;
3- L’expert indépendant pour les droits de l’homme William O’Neill, récemment nommé par l’ONU, déclare, le 28 juin 2023, que les juges non certifiés doivent avoir plein droit de faire recours contre cette décision ;
4- Me Carlos hercule, ancien bâtonnier de Port-au-Prince, dans une savante analyse produite dans son article, publié le 17 juillet 2023, titré « La certification des magistrats sous le prisme de l’État de droit s’en prend aussi au CSPJ pour le mémorandum du 1er juin 2023 qui bloque le recours des juges non certifiés ;
5- Me Jean Frédérick Beneche, dans un long et lumineux article, publié le 21 juillet 2023, a dit clairement que le fait pour le CSPJ de ne pas permettre le droit de recours aux magistrats non-certifié est de l’arbitraire, il dit et je cite : « En ne posant pas de règles claires connues de tous qui servent à irriguer les étroits sentiers de la certification des magistrats, le CSPJ joue à l’arbitraire. Cette crise du principe de légalité instituée est de nature à jeter un travail même bien fait dans la puanteur des eaux usées des égouts engorgés ».;
6- Le Magistrat Lucien Georges, dans un long article écrit et publié au journal Le National, le 22 juin 2023, dit que la certification du CSPJ est une opération de règlement de compte, de haine et de vengeance ;
Avant de mettre fin à l’écriture de cet article, il y a lieu de dire que dans le premier article que j’ai écrit sur la certification orchestrée par le conseil supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), publié le 29 janvier 2023, sur les réseaux sociaux, au journal Le National, Le Nouvelliste, Lakay enfo 509 et sur Pharo info ; j’avais cité plus de dix instances et personnalités autorisées dans le secteur qui se levaient contre cette certification et l’opacité de la méthode, mais les organisations syndicales des Magistrats ANAMA, RENAMA, APM, AJUPHA, AJI VIT ET BIEN etc….ne pipent mot ; Lors même que le CSPJ a rendu public un autre mémorandum anéantissant le droit de recours des magistrats non-certifies, cachant celui du 20 novembre 2014 signe par l’ex-président Anel Alexis Joseph qui disait le contraire, prétextant qu’après recherches effectuées dans les registres à ce destines, ils ne le trouvent pas, les associations de magistrats continuent de rester muettes, là on peut se demander est ce que ces associations de Magistrats ne sont là que pour faire des grèves pour bloquer le cours de la justice et réclamer augmentation de salaire, bond de carburant, frais et ti kat etc….? est ce que les associations de magistrats ont peur de défendre leurs droits par devant le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) ?
Enfin, la république d’Haïti est un Etat policé avec une structure démocratique normée et dirigée par des règles. Les lois sont hiérarchisées en application du fameux principe de la hiérarchie des normes préconisé par Hans kelsen, (1881-1973) ; Selon lui, les règles de gouvernance, du droit public s’arrangent comme une pyramide. En Haïti, au regard de la constitution haïtienne de 1987, en ses articles 276 et suivants, nous fonctionnons sous l’égide des normes monistes qui veulent que la constitution qui est la loi mère de la république soit au sommet de la pyramide. C’est cette loi mère qui définit les règles du jeu, qui garantit la démocratie et l’Etat de droit. Toutes les lois républicaines généralement quelconques, doivent être en conformité avec la constitution, tout comme tous les dirigeants des trois pouvoirs de l’Etat doivent respecter et appliquer la constitution. Lorsque la loi n’est pas appliquée, c’est un manque à gagner pour la démocratie et l’Etat de Droit. Le conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) a l’impérieuse obligation de respecter et d’appliquer la loi dans toutes ses décisions. Le droit de la défense est tellement sacré qu’elle est consacrée par la constitution haïtienne, par les lois nationales et les conventions internationales y relatives car violer les droits de la défense c’est faire de l’arbitraire. Un Etat qui traite ses citoyens avec arbitraire en violation de ses lois et des conventions internationales est un Etat délinquant. Si la justice élève une nation, l’arbitraire la rabaisse. En annulant le droit de recours des juges non certifiés, le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), viole la loi, doit se ressaisir et entendre la raison pour ne pas ternir beaucoup plus l’image du pays dans l’illégalité et l’arbitraire car en aucun cas, aucune juridiction ne peut être à la fois première et dernière instance.
Todt ROYER, Av. Ph D
24 juillet 2023