Publication du décret du 14 avril 2025 : des pôles judiciaires spécialisée en Haïti, un combat signé RENAMAH à reconnaître.

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Publication du décret du 14 avril 2025 : des pôles judiciaires spécialisée en Haïti, un combat signé RENAMAH à reconnaître.

Par Me Pierre Jean, magistrat de siège 

 

Introduction

Le 14 avril 2025 marque une date historique pour le système judiciaire haïtien : le gouvernement a publié un décret instituant officiellement la création de pôles judiciaires spécialisés. Cette avancée majeure dans la réforme de la justice mérite d’être saluée, mais elle appelle aussi à une reconnaissance fondamentale : celle du magistrat EDUMÉ Ikenson, ancien président du Réseau National des Magistrats Haïtiens (RENAMAH), pionnier incontesté de cette vision, initiateur d’un combat porté depuis plus d’une décennie. Son nom mérite d’être associé à ce décret comme une marque d’honneur, d’autant plus que ses idées ont été reprises sans que lui ou ses alliés associatifs, en particulier les magistratsLucien Georges, Jean Peres Paul, Farah cadet, Jean Frederick Benèche, Sheila Monsanto, Gerald Exantus, Jacques HermontConstant, Jauny Celeston, Duny Dube, Annie Fignolé et co, n’aient été consultés.

I. Un combat de longue haleine pour la spécialisation des magistrats et des avocats

La question de la spécialisation dans le système judiciaire haïtien n’est pas nouvelle. Depuis le début des années 2013, Me EDUMÉ Ikenson, alors magistrat spécialisé en crimes économiques et financiers, syndicaliste et professeur de droit des affaires à l’université d’Etat d’Haïti (UEH), a multiplié les interventions dans les médias, les publications et les forums professionnels. Son objectif était clair : introduire une approche par compétences dans la magistrature, en créant des pôles judiciaires spécialisés aptes à traiter des infractions complexes telles que la corruption, la criminalité économique, les crimes sexuels ou encore le terrorisme.

Dans ses écrits, le magistrat EDUMÉ Ikenson a toujours défendu l’idée selon laquelle « la spécialisation des magistrats est la clef d’une justice efficace, crédible et indépendante dans un État de droit fragile comme Haïti » (EDUMÉ, 2018).

II. La création du RENAMAH : de l’idée à l’action collective

Pour institutionnaliser cette vision, il fonde en 2019 le Réseau National des Magistrats Haïtiens (RENAMAH) avec les magistrats Lucien Georges, Jean Peres Paul, Farah Cadet et co., une structure associative regroupant des magistrats engagés pour une réforme judiciaire en profondeur. Le RENAMAH a activement milité pour une justice spécialisée issue des idées de ce dernier, organisant en août 2022 la Première Conférence internationale sur la spécialisation de la justice haïtienne, en partenariat avec le MJSP, le CSPJ et des partenaires internationaux, dont des représentants de l’ONU, avec l’appui technique du Haut-Commissariat des Nations Unies en Haïti et le soutien financier du PNUD et du BINUH, impliquant même le Conseil de sécurité de l’ONU dans ce grand chantier de réforme.

Lors de cette conférence, un document de recommandations a été remis au Premier ministre Ariel Henry, avec le soutien de plus de 600 magistrats venus des dix-huit juridictions des tribunaux de première instance, des cinq juridictions des cours d’appel du pays et de la Cour de cassation de la République (Gazette Haïti, 2022).

Jalons décisifs vers la spécialisation :

• Août 2022 : Lancement de la Première Conférence internationale sur la création de pôles judiciaires spécialisés, organisée à Port-au-Prince avec le soutien du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), du Haut-Commissariat des Nations Unies en Haïti (HCNU-Haïti), du BINUH et du PNUD. Plus de 600 magistrats haïtiens et internationaux (Amérique latine, Afrique, Amérique du Nord) y ont pris part sous l’égide du Dr Arnaud Royer (HCNU-Haïti).

III. L’oubli de l’initiateur dans la publication du décret du 21 avril 2025

Le décret publié le 16 avril 2025 reprend intégralement l’essence du projet porté par le magistrat EDUMÉ et le RENAMAH. Pourtant, ni lui, ni ses collègues, ni même les archives de leurs travaux n’ont été consultés. En cela, le gouvernement fait fi d’un principe éthique fondamental : celui de la reconnaissance des sources intellectuelles et militantes d’une réforme.

Dans les démocraties respectueuses des bâtisseurs du droit, les lois portent souvent le nom de leurs initiateurs : la loi Taubira(Christiane Taubira, ancienne garde des Sceaux de la République française) sur la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité, ou encore les lois Sapin I et Sapin II sur la lutte contre la corruption en France. Haïti devrait suivre cet exemple.

IV. Une réforme amputée de sa vision originelle

Le décret, bien qu’historiquement salué, présente une grave lacune : la compétence des pôles judiciaires est limitée à une juridiction territoriale. Cette limitation contredit l’idée originelle portée par Me EDUMÉ : donner aux juges spécialisés une compétence nationale, pour leur permettre d’intervenir partout sur le territoire en matière de criminalité transversale.

Comme le rappellent plusieurs experts en droit pénal, « la lutte contre la criminalité en col blanc nécessite des mécanismes de poursuite agiles, transversaux et libérés des carcans locaux » (Delmas-Marty, 2010). En Haïti, les délinquants financiers, terroristes ou sexuels fuient souvent d’une juridiction à une autre pour échapper à la justice. Réduire les pôles à des juridictions classiques, c’est affaiblirleur efficacité dès le départ.

V. Une exigence de justice mémorielle et fonctionnelle

Au-delà du respect dû à Me EDUMÉ, cette revendication appelle à une exigence de justice mémorielle et de continuité de l’État. Le décret devrait porter le nom de « Décret du RENAMAH », comme marque de respect envers un homme dont l’engagement a souvent été réprimé. On se souvient que le magistrat EDUMÉ a été écarté du système judiciaire, victime de ses idées novatrices et réformatrices, dénonçant les malversations de ses pairs au CSPJ alors qu’il portait la voix d’une réforme salutaire et mémorable.

Il ne s’agit pas ici d’un simple hommage, mais d’un acte politique fort qui replacerait l’État du côté de ceux qui construisent, et non de ceux qui effacent. Le décret doit aussi être corrigé, pour redonner aux pôles spécialisés leur dimension nationale, telle qu’envisagée dans les recommandations du RENAMAH.

Prochaines étapes

​1.​Mise en place d’un comité de suivi associant Me EDUMÉ / RENAMAH, le Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique, le CSPJ et les partenaires internationaux.

​2.​Lancement d’un appel à candidatures pour les premiers magistrats affectés aux pôles judiciaires spécialisés.

​3.​Organisation d’ateliers de formation continue pour magistrats et personnels de greffe, afin d’assurer la montée en compétence et la pérennité de la réforme.

En somme, la publication du décret du 14 avril 2025 est une avancée, mais elle reste incomplète sans la reconnaissance du RENAMAH et sans la rectification de la compétence des pôles. Nommer ce décret « Décret D’EDUMÉ ou RENAMAH » serait un geste de justice et de vérité. Corriger le cadre juridique pour octroyer une compétence nationale aux juges spécialisés serait un acte de cohérence. Pour que cette réforme structurelle de la justice haïtienne ne soit pas qu’un texte, mais une vraie révolution.

Références bibliographiques 

​•​Delmas-Marty, M. (2010). La refondation des pouvoirs. Paris : Seuil.

​•​EDUMÉ, M. (2018). Plaidoyer pour une magistrature spécialisée en Haïti. Manuscrit non publié.

​•​Gazette Haïti. (2022, 10 août). Le RENAMAH lance la 1re conférence internationale pour la création des« Pôles judiciaires spécialisés » en Haïti. https://gazettehaiti.com/node/7875

​•​Juno7. (2024, 15 janvier). L’ANAMAH dit renouveler son attachement à l’indépendance de la Magistrature. https://www.juno7.ht/anamah-dit-renouveler-son-attachement-a-lindependance

​•​Vant Bèf Info. (2024, 21 septembre). Signature d’un accord pour la création de deux pôles judiciaires spécialisés. https://vantbefinfo.com/signature-dun-accord-pour-la-creation-de-deux-poles-judiciaires-specialises

Me Pierre JEAN, professeur de droit, auteur

Magistrat de siège depuis la métropole du Nord d’Haïti, le 22 avril 2025

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